Je dois à une heureuse contingence, un tirage au sort organisé au profit de membres de Financité (comme ça, vous savez !) intéressés à lire un ouvrage récent publié par deux auteurs sur l'illusion de la finance verte. Depuis longtemps convaincu par cet entubage en règle de la part d'un monde bancaire qui a déjà bien oublié ce qu'il doit toujours aux budgets de l'État qui l'a sauvé des eaux lors du krach de 2008 (les interventions pour les inondations de 2021 sont du pipi de chat par rapport à ce que les banques ont reçu de notre part non consentante...), je suis certain que cet ouvrage n'aurait pas retenu mon attention sur une table de libraire. Les circonstances sont autres: j'ai donc entrepris de lire/parcourir cet ouvrage au contenu sérieux, présenté avec intégrité, qui s'attache à démonter de l'intérieur l'entubage...


L'un des auteurs est un insider qui a retourné sa veste en quelque sorte. Deux des directeurs récents de NewB ont le même profil. Douter de leur sincérité à priori serait une faute de goût, non ? L'autre nous est présenté par ses nombreux postes prestigieux...

L'entretien qu'un des auteurs a accordé au magazine Financité (n°57, pp ) montre un maniement de la nuance pratiquant volontiers la double négation:

  • « Nous ne disons pas qu'il n'existe pas d'investissement vert, mais que ceux qui existent comme tel, c'est du bidon. »
  • « Je ne dis pas que les gens altruistes n'existent pas, ... »

Au nom d'un réalisme assez communément partagé, les auteurs s'interdisent de franchir le rubicon. Ils demeurent sur la rive de la bien-pensance qu'ils dénoncent pourtant. Dans l'espoir (vain) d'un resaississement de l'intérieur ? Une démarche d'éthique à priori appartient pour eux au domaine de l'utopie pure & dure.


Sur le site de l'éditeur (héritier des éditions ouvrières), la présentation des auteurs offre peut-être une explication:

« Alain GRANDJEAN est président de la Fondation Nicolas Hulot et membre du Haut conseil pour le climat [France macronienne]. Il est aussi co-fondateur et associé de Carbone 4, cabinet de conseil en stratégie climat. Il est l’auteur de Une monnaie écologique (Odile Jacob, 2020) et, aux Éditons de l’Atelier, de Financer la transition énergétique (2016, avec Mireille Martini).

Julien LEFOURNIER, diplômé de l'École des Mines de Paris, a travaillé pendant vingt-cinq ans sur les marchés financiers. Il a quitté l'industrie bancaire et intervient depuis dans différents groupes de travail (dont le projet Fortès) pour sensibiliser aux limites de la finance verte telle qu'elle se développe. »

 Notons au passage dans la présentation du second un amalgame surprenant effectué entre marchés financiers & industrie bancaire, même si la seconde utilise les premiers bien sûr. De plus, il est rare de nommer le monde bancaire au moyen du vocable industrie, non ?


Cela dit, plongeons au coeur de l'ouvrage en s'aidant des ressources de la linguistique pragmatique.

La structure donnée à la matière présentée s'introduit en une bonne vingtaine de pages, le corps couvre plus de 180 pages en trois parties bien structurées en chapitres ventilant les thématiques abordées. À la première, la pratique & les discours, la deuxième, les produits mis au point par la finance verte, c'est le coeur de l'ouvrage, & la troisième une explication de la dépendance du sous-système vert au système plus large. Cette verdurisation consentie de manière superficielle est détaillée dans l'ouvrage en soulignant les nombreuses failles que la terminologie mercatique en usage véhicule.


Du diagnostic bien réparti. La conclusion est trop courte: elle devrait couvrir, comme l'introduction, une vingtaine de pages. Elle en fait à peine six. à moins d'y joindre le 20e chapitre. Il recèle en effet des pistes conclusives en ne disant pas leur nom. L'erreur est commune à beaucoup d'ouvrages non fictionnels: trop souvent, les conclusions sont bâclées. Rares sont les ouvrages qui prennent à ce point les besoins des lecteurs en ce domaine. Voir un exemple réussi d'écriture experte présenté ailleurs.

À tant diagnostiquer le mal, il tient du mensonge, couleur verte, les auteurs omettent de nous offrir des alternatives solides. Dans un autre ouvrage peut-être ?

Car le coopérateur de NewB que je suis par ailleurs reste très dubitatif. En effet, si cet ouvrage sérieux atteint un objectif, c'est celui de me faire conclure que ce serait en modifiant de façon pérenne le paradigme financier contemporain de l'extérieur, par voie légale, parlementaire, que celui-ci serait davantage contraint de se réformer en incluant l'éthique dans le coeur de son fonctionnement !


L'ouvrage résulte d'un travail sérieux, solide, à l'écart des modes, peu susceptible en vérité de retenir des pistes plus soutenables pour la planète tant la finance verte est viciée jusqu'au trognon par une mercatique mercantile d'enfumages par la création d'illusions difficiles à démêlerde l'inconsistance

  • même de notre monde
  • & de notre univers mental.

La mise à nu entreprise ici est précise, argumentée, structurée. La mise à plat du travail accompli des illusionnistes est très bien documentée. La table des matières ci-dessus en porte de nombreuses traces. Il pourrait opérer des miracles auprès de lecteurs vraiment peu au courant des pratiques de marketing, qui ne sont pas propres à la finance & à la banque d'ailleurs. La cohérence du décryptage est appliqué à la finance verte, thème porteur s'il en est, & montre la kyrielle infinie de techniques d'enfumage mises en oeuvre par celles & ceux qui sont payées pour que rien ne change, jusqu'à qu'elles/ils soient mis à la porte (compression de personnel, vous compenez !). L'ouvrage est en cela salutaire.


Par contre, formellement, elle pêche sérieusement par deux côtés:

  • le texte est trop peu illustré; les graphiques & les tableaux, bien présents, sont réservés à  cinq encadrés hors texte dont le relevé ne figure pas dans la table des matières. Cela laisse trois quarts des chapitres sans illustrations. C'est austère, peu dynamisant, très (bien) "écrit". Les illustrations sont pourtant essentielles quand la matière est ardue, & celle-ci l'est: si je devais présenter un argumentaire face à un public à former au décryptage, c'est vraisemblement sur elles que je poserais mes premières balises de présentation.
  • chaque chapitre est bien structuré; pourtant, il est des moyens de faire apparaître à peu de frais cette structuration; ils sont absents:
    • les sous-titres, notamment, permettent d'annoncer le propos par un choix judicieux de mots-clés, ce que les auteurs s'emploient à faire dans les titres de leurs trois parties & vingt chapitres;
    • mais aussi la mise en gras de concepts-clés dans la texte: un tel procédé a l'avantage de soutenir l'attention tout en insistant sur le thème en cours.

Étant donné le côté ardu des thématiques abordées, les quelques formules mathématiques présentes dans le texte auraient mérité des hors-textes, soulignant par là leur pertinence de manière visuelle; ces dynamisations textuelles auraient été précieuses à ne pas semer tant de lectures en cours de route. Cela ressortit peut-être aussi d'un travail éditorial de conseil qu'une maison d'édition pourrait offrir à ses auteurs. Il s'agit là d'un savoir-faire de moins en moins instauré, tout accaparées que sont les équipes à générer des profits à la marge des flux des offices & de leurs innombrables retours. La collection dans laquelle l'ouvrage est paru ne semble pas être animée par un/une directeur/directrice de collection distinct/e de l'éditeur et/ou l'éditrice; en tout rien ne figure clairement.