Ce bref entretien originellement publié par la revue annuelle Apulée fait l'objet d'une actualisation dans une nouvelle collection, Les apuléennes, initiée par leur éditeur commun, Zulma. Il poursuivait la publication d'un ouvrage de 2019 intitulé Le plus grand défi de l'histoire de l'humanité, dont le propos est similaire. La brièveté de cette Apuléenne plaide pour elle. L'auteur a également approfondi sa réflexion depuis 2019, notamment en l'incitant à raccrocher son "costume" de convainqueur... dans lequel il ne convainquait que les personnes déjà convaincues finalement. & la livrée lui seyait finalement peu.
J'ai pu en observer il y a moins d'un lustre les effets de cette parole incisive sur un auditoire en grande partie composé d'une bonne bourgeoisie liégeoise qui venait y chercher à bon compte de quoi s'esbaubir d'avoir "participé" au démontage d'un système qu'elle contribue pourtant par ses propres errements à pérenniser !
 
Dans les notes qui suivent, je suis parti parti à la pêche de concepts en ignorant les questions. Elles ont tant de défauts qu'il m'a semblé inutile & bienveillant d'ignorer les unes & de taire les autres.

LE TITRE
Un problème systémique ne peut avoir de solution que systémique. (exemple perso: on n'arrêtera pas le réchauffement climatique en arrêtant la commercialisation des bâtons-tige ! ) La révolution est bien davantage qu'une révolte, qui n'est qu'une jacquerie en somme: il s'agirait pour le système d'opérer un tour complet sur lui-même, de se retourner.  « Il faut changer les règles. Il s'agit
  • de développer les outils politiques, poétiques & philosophiques fondant un tout autre monde,
  • d'empêcher ce monde-ci de fonctionner sans quoi aucune révolution ne peut advenir.

UNE RÉVOLUTION POÉTIQUE
2 L'effondrement est « un constat quant au présent. C'est une réalité. Préparer la chute de la civilisation thermo-industrielle fait sens... Le véritable problème vient peut-être d'une advenue trop tardive. Ne sous-estimons pas la résilience du système actuel. La capacité de notre société à intégrer, pour ne pas dire ingérer, toutes les tentatives d'extraction pour les retourner en alliées potentielles est à la fois remarquable & pathétique.
C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles il me semble préférable de renoncer  à la médiatiser, 3 même pour y exprimer des idées contestataires ou révoltées, faire le tour des plateaux télé entérine – de fait – ce qui est critiqué. »
« Il est possible que les structures de solidarité s'effondrent plus vite & plus fort que les schèmes de prédation. »
 

Nous avons besoin d'un nouveau vocabulaire: il fait l'objet du premier tableau. 4

TERME REJETÉ TERME PRÉFÉRÉ
 Crise CATASTROPHE
 Migrants  RÉFUGIÉS
 Inclusion insuffisante  RACISME SYSTÉMIQUE
 RÉALITÉS économiques 8  CONVENTIONS économiques
 Développement durable 15  SOBRIÉTÉ SOUTENABLE (proposition nullepartienne)

Tableau 1 Un vocabulaire neuf

 6 Il va falloir être un peu sérieux, audacieux, séditieux.
16 « Nous nous sommes faits voler les mots. [Les mots] sont
  1. dénaturés
  2. dévoyés
  3. mutilés.

Nous ne gagnerons pas la bataille

  1. des dévoiements
  2. calomnies
  3. bassesses.
Reste le choix d'être poète ». [A. Barrau a également recueilli des poèmes de son cru chez l'éditeur Michel Lafon en 2020: Météorites. Non lus.]
16 « Naturellement Camus a raison: le travail sur le langage est vital. [Seul demeure] le choix d'être poète[:] construisons un avenir poétique, càd exigeant – presque intransigeant – & exploratoire. Car cela nos adversaires ne savent pas e faire. À ce jeu de la vie, ils ont déjà perdu. »

Tout y est. Le bas bruit qui s'y sème
se cueille en conscience.
Nommer précisément la voie tracée
par l'en-soi dans le hors-soi
contribue à lui donner
une assise affermie.
L'assembler, cueillette.
 
« L'art, la littérature, la poésie sont des armes de précision [dans la] guerre totale contre l'univocité du sens. L'art produit du réel. » 17
Nous manquons d'imagination. Nous nous enlisons dans l'inertie. D'où l'immobilisme. Face au désastre en cours, nous avons davantage besoin d'artistes que de bio-ingénieurs pour « trahir l'héritage qui interdit l'ailleurs. » 17
«  D'innombrables autres cultures humaines ont développé des rapports au(x) monde(s) très différents du rapport de la modernité occidentale. »
Jean-Luc Nancy, dont l'auteur était un proche: « Le mythe est le nom de cosmos se structurant en logos. » Dans la cosmogonie grecque, cosmos « est le petit-fils de chaos & les possibles ouverts par ce désordre qui est aussi
  • faille
  • béance
  • & retrait

sont presque infinis & inexplorés. »

[Reformulation] La modernité occidentale n'a pas exploré d'autres possibilités pourtant présentes dans l'arrière-plan en nombre infini. C'est peut-être à l'art d'en sonder les possibles.


UNE RÉVOLUTION PHILOSOPHIQUE
6 « Il s'agit de refondre les valeurs & les symboles. Si la direction ne change pas, le chemin suivi importe peu. »
9 « La production dilettante d'objets inutiles est une maladie. »
Ni la bio-ingénierie ni la 5G ne trouvent grâce à ses yeux, cela va de soi. Le Président E. Macron opposant la 5G aux Amish, « il n'y a rien à [en] dire... c'est juste triste. On voit ici
  • l'immensité du chemin qui reste à parcourir,
  • & surtout, l'absence de sérieux de ceux qui décident en notre nom. » 12

« Je pense que c'est surtout sur logos (la langue, la rationalité) qu'il [conviendrait] de travailler.

Logos,

  • c'est ce qui a structuré toute l'histoire de cette partie du monde.
  • parfois, me semble
    • tout étriqué,
    • presque mesquin
    • ou chétif devant la maât égyptienne... »
Maât1 est, dans la mythologie égyptienne, la déesse de l'harmonie cosmique, de la rectitude (ou conduite morale), de l'ordre et de l'équilibre du monde, de l'équité, de la paix, de la vérité et de la justice. Source Wikipedia. L'article continue au-delà de ce premier paragraphe. Le lien ici.

 
Cette impression (d'étriqué, de mesquin, de chétif) ressort aussi des philosophies extrêmes-orientales. Voir le recueil qui lui est consacré sur Nulle Part: il est intitulé L'Inde au coeur.


Le tableau suivant, en sa colonne de droite, envisage des actes possibles pour voir jaillir un tout autre monde.

À ÉVITER À PRÉFÉRER
 instauration d'un rapport de force

 être beaucoup plus

  • profond
 croyance aveugle au miracle technologique (une chimère)
  • subversif
 militantisme médiatique [rente de situation à la P. Rahbi en son temps u à la C. Dion, son continuateur;
remarque personnelle]
  • élégant
 jeu de représentation politique  nager en eaux troubles
 débats, spectacles télévisés dont la vacuité est obscène  revendiquer l'incorrect
 [car] tout cela est déjà mort.
Tableau 2 Actes possibles pour voir jaillir un autre monde
 
23 Nous avons à faire à un péril sans précédent. « Peut-être ... engendrera-t-il la révolution sans équivalent dont nous avons besoin ? »
24 « Nous nous surfocalisons sur les effets sans travailler sur les causes. » Après avoir cité quatre exemple, la conclusion sonne, tranchée; voici une liste d'effets :
  1. « le réchauffement climatique,
  2. la pollution,
  3. l'effondrement de la population,
  4. l'acidification des océans,
  5. l'artificialisation des sols.

On ne peut pas les résoudre [ces effets, ces conséquences] sans travailler sur l'origine », sur les causes, sur les racines de chaque dérèglement irrémédiable. C'est en cela qu'il convient d'être radical, de remonter aux causes premières, càd aussi aux « parti-pris idéologiques qui les engendre. »


UNE RÉVOLUTION POLITIQUE
 
Voici le troisième tableau qui envisage les scénarios possibles, dans la dimension politique. Trois avenirs ?
CONTINUATION càd
IMMOBILISME CONFORTABLE
RÉFORME SUBSTANTIELLE RÉVOLUTION
le plus probable                                       pures virtualités
en extrapolant la dernière décennie le scénario repose sur un espoir d'infléchir un peu les valeurs mesurées et les comportements: risques à envisager
les mesures scientifiques indiquent

ce scénario est sans fondement,

[étant donné que tout espoir débouche sur une déception.]

  • la révolution pourrait être violente
une accélération de la dégradation des conditions de l'habitabilité de la planète Une courbe en augmentation exponentielle tend toujours vers l'infini.
  • le nouveau monde pourrait être pire que l'ancien
Même issue: l'effondrement de la vie sur Terre, déjà en cours  
L'ONU emploie l'expression: « menace existentielle directe »    
 Tableau 3 trois avenirs possibles

Plusieurs raisons poussent à l'immobilisme confortable (première colonne). A. Barrau en liste sept:
  1. la transition est soi-disant en cours; elle est illusoire;
  2. mirage d'un miracle scientifique à venir (bio-ingénierie);
  3. peur de l'inconnu engendré par les deux autres scénarios;
  4. l'espoir d'une erreur généralisée commise par les scientifiques;
  5. les pays du Sud semblent souhaiter accéder aux deux premiers scénarios; [ils y sont encouragés];
  6. la catastrophe globale n'est pas que climatique;
  7. le recours à la bio-ingénierie.
Les WC sont fermés de l'intérieur ? Comment déverrouiller cet enfermement sans casser tout ? A. Barrau aborde le sujet (29): il propose d'agir sur la serrure efficacement en travaillant sur
              - les symboles,
              - les valeurs,
&
              - les désirs.
Chaque verrou sociétal concrétise une incapacité structurelle
              •  à intégrer les contingences des constructions,
& donc
              •  à envisager la possibilité même d'un autre monde. [Vient à l'esprit: TINA Thatcher, There Is No Alternative; & elle enferma les mineurs dans les mines de charbon anglaises, bien soutenues par le patronat qui avait au préalable bien tout sucé de la bête, tous les profits royalement empochés, en laissant sur le carreau - des mines - des êtres humains qui ne s'en sont toujours pas remis (eux & leurs familles, descendants compris, ainsi que les régions dans lesquelles ils vivent, tant le choc fut rude & sans pitié. Quand les maigres flux monétaires se tarissent, tout est dépeuplé & le tiers-état crève, souvent sans bruit, sur le bord du chemin.]

Intégrer (voir le paradigme de l'intégration auquel Jean François Billeter consacre un ouvrage intitulé Esquisses) & les contingences dont les convergences constituent une heureuse alternative au hasard (convergence de contingences). Ce vocabulaire est devenu familier sur Nulle Part. Jean François Billeter a établi le mode d'emploi de cet agir , ici bien illustré par Aurélien Barrau. L'adossement initial, billeterien, a contribué à qualifier précisément le geste microscopique du calligraphe chinois. Ici, Aurélien Barrau emploie un télescope pour en élargir le plan de travail, car « la migration ontologique ... nécessaire ne peut pas être disciplinaire. [Elle doit donc être multidisciplinaire, faire appel à plusieurs disciplines. Le titre même de l'ouvrage suggère l'intervention de trois d'entre elles.] La migration ontologique relève d'un effet de bord.
 

Ne connaissant pas ce que recouvre cet effet, recherche. Wikipedia, fiable quand elle ne sert pas de pont hagiographique à des auteurs en mal de célébrité rapide, livre ceci:
 
« En physique, et plus particulièrement en mécanique des fluides, un effet de bord est un phénomène d'instabilité au bord près de la paroi. Bien souvent, l'étude des phénomènes se fait en négligeant l'effet de bord, par la forme géométrique du phénomène ou en séparant le cas de la proximité du bord.

D'une manière générale, un effet de bord est l'ensemble des phénomènes qui apparaissent à proximité d'une valeur limite d'un domaine où peut s'appliquer un certain nombre de calculs (paroi ou seuil). Les limites correspondent aux domaines de validité des méthodes de calcul. Les transitions sont progressives, et il n'y a pas d'effet de bord.

Au sens général, le plus souvent évoqué est l'effet de bord lors de l'écoulement d'un fluide , où les frottements sur les parois modifient l'écoulement général. Il existe aussi l'effet de bord thermique où le fluide (liquide ou gazeux) a lui aussi un échange avec les parois.»


La migration qu'A. Barrau appelle de ses voeux implique forcément une déstabilisation du système existant (le capitalisme) pour mettre en place celui qui le remplacera à cause de phénomènes d'instabilité multiples qui se produisent quand une société (mondialisée) "choisit" de modifier la donne. J'imagine en tout cas que c'est ce qu'il veut dire dans son raccourci.

Nous connaissons, nous dit-il, un immobilisme. Aucune action n'est entreprise pour
  • envisager un autre monde,
  • intégrer les contingences des constructions [qui devraient être mises en place ?].

C'est une diffraction de la lumière qui pourrait éclairer la situation qui brouille les origines de l'immobilisme.

 Un enchevêtrement ...

  • de prédation

&

  • de domination

a pour conséquence le capitalisme. Un peu comme si le capitalisme avait, en constatant ce brouillage, saisi l'occasion de figer la situation en sa faveur pour nous qui sommes les proies de sa domination qui se permet tous les dépouillements. Nous vivons sous son emprise sans partage. Même les Chinois, soi-disant communistes on ne peut plus orthodoxes, sont devenus d'intenses spécialistes du capitalisme mondialisé.

Les sciences & les technologies servent d'outils aux mains du capitalisme qui, lui, établit la direction que nos vies doivent prendre pour toujours maximiser davantage les profits d'une caste exclusive, indigne continuatrice des aristos d'antan !

Ni la représentation politique démocratiquement élue (Mitterrand a tenu deux ans, Allende, trois) ni la dictature (les Castro ont résisté, mais à quel prix social ?) ne sont à même d'en infléchir le cours. Aurélien Barrau semble privilégier les assemblées citoyennes dotées d'un pouvoir législatif comme la modalité représentative la plus susceptible

  • de sortir nos sociétés de leur immobilisme,
  • de remobiliser nos sociétés pour leur faire prendre une autre direction.

En Belgique, une timide tentative a eu lieu dans ce sens sous le vocable Panel citoyen délibératif. Ce courrier du Crisp l'analyse bien. Le G1000 à Bruxelles a aussi été en 2011 une aventure dont ce courrier rend compte.David Van Reybrouck, un des initiateurs du G1000, a pris position dans un ouvrage ultérieur intitulé Contre les élections.

Aucun pouvoir constitué ne semble toutefois vouloir lâcher les rênes de la décision: "ils" veulent bien

  • que nous nous assemblions (ils fournissent la salle, les sièges, les micros, le chauffage; même les sandwiches !),
  • que nous entendions des experts,
  • que nous délibérions,

mais point d'empiètement sur le pouvoir législatif décisionnel (très particratique dans ce petit pays aux horizons très restreints et encore découpés en tranches de saucissons qui se chevauchent, tel un millefeuille...). Pas étonnant que leurs résultats pourtant novateurs se soient tout de go noyés dans les oubliettes de l'histoire.

Du coup, tous les lièvres levés lors de ces assemblées sont noyés dans leur jus avant même de comprendre ce qui leur est arrivé dans la marmite institutionnelle ! Ne pas se demander après pourquoi la Flandre vote à l'extrême-droite ni pourquoi le couple Le Pen-Zemmour surfe sur des scores aux présidentielles indignes d'une gRRRande démocratie autoproclamée voisine...

Pour cela, le système devrait procéder à une « refonte constitutionnelle de très grande ampleur » 31. Mais « une question reste ouverte: un système peut-il permettre sa propre refondation en autorisant la révolution qui le récuserait ? »

Rien n'est moins sûr évidemment. L'incertain MAJUSCULE se fait même dominateur tant la prédation que cette nouvelle constitution impliquerait sur le système ancien serait ravageuse où tant & tant y trouve un profit, ne fut-ce que de rente.