2e
RECONCRÉTISER 
 VII Admettre 
 le tiers
 30 Le retour d'un
 livre ancien
     31 L'affranchissement
 du logos
     32 Le bannissement
 du troisième genre
     33 La troisième
 des deux vérités
     34 En deçà du
 bond mystique

 

« Telle la queue du lézard, les bibliothèques repoussent. »
A. Berque Poétique de la Terre, 141

§30 Le retour d'un  livre ancien

Le livre en question a pour auteur japonais Yamauchi Tokuryû (1890-1982), Logos et lemme. Pour lui, logos = pensée occidentale; lemme = pensée orientale. Il a « cherché ... à opérer une synthèse » des deux modes de pensée. Cet auteur était un spécialiste de « philosophie comparée entre l'Orient et l'Occident. » 142

En s'émancipant du logos, Yamauchi « rend possible une logique formelle reposant sur [c]es trois principes:
- de l'identité (A)
- de la contradiction (non-A)
- et du tiers exclu (l'impossibilité d'être à la fois A et non-A). » 148

La contingence est au coeur de ce chapitre. A. Berque le personnalise, comme il sait si bien le faire, en racontant comment il a rencontré deux fois ce livre avant de s'en saisir pour en approfondir le contenu. Au passage, cela lui permet de montrer la différence entre causalité et contingence, sur laquelle je me suis également étendu dans le chapitre précédent avec un exemplaire solaire. (Harmonies concrètes)

§31 L'affranchissement  du logos

Je vois souvent l'occasion de mettre en regard dans un tableau les éléments apportés par l'auteur:

Logos Lemme

= parole
= pensée ou
faculté de penser
= raison, au sens de
principe.
Viens de LEG, cueillir,
choisir, a donné
en grec: d'abord
rassembler,
compter; puis
dire, raconter.
D'où le substantif
dérivé: logos.

 = ce que l'on prend pour
 accordé
 = assomption
 = thèse
 = se dit des
 prémisses du syllogisme.
 = propriété préliminaire
 dont la démonstration
 préalable est nécessaire
 pour démontrer la thèse
 principale qu'on se
 propose d'établir. 146
Pour Aristote 148  Pour Yamauchi
A = identité  Affirmation
Non-A = contradiction  Négation
Le tiers exclu = l’impossibilité
d’être à la fois A et non-A.
A et non-A « étant incompatibles,
un seul des deux peut exister ».
« Le monde du logos exclut leur
coexistence. » 148
Pour l’Occident, le logos
décompose analytiquement
cette concrescence
des choses. Et c’est peut-être
à cause de cette dé-composition
du lien étroit qui existerait entre
les mots et les choses que
le logos occidental en viendrait,
en serait venu à « engendrer
le TOM et la décosmisation
moderne; notamment la
disjonction, par le capitalisme,
entre le travailleur et le travail. »
152
 Le tiers inclus = la possibilité
 d’être à la fois A et non-A.
 « Le monde de la réalité est
  à la fois être et non-être. »
 148
 
Pour l’Orient, la réalité se
 compose de l’aller-avec des
 mots et des choses. C’est
 une croissance conjointe à
 laquelle il est insisté,
 une concrescence. 151
Le principe de contradiction
structure la logique [du logos].
Chez Hegel, le principe de
contradiction devient la
dynamique de l’être lui-même.
 A. Berque et Yamauchi T.
 affirment qu’il y a une logique
 en dehors du logos. Ils y
 perdent dès lors « cette
 arrogance et cet abus de
 pouvoir de la pensée
 occidentale. » 149
  La pensée orientale adopte
la logique du lemme. Elle
constitue « une aile du
système de pensée mondial ».
 Pour l’Occident, la phrase
« Julie est triste»
est possible. Le logos se donne
libre cours par rapport à
l’existence. « Vous avez beau
ne pas être Julie, et donc
en toute rigueur être incapable
de dire qu’elle est triste, le
logos (votre langue maternelle)
vous permet de vous abstraire
de cette incapacité concrète.
En somme, dans le plus banal
des énoncés, vous pouvez
transcender l’existence ! »
Le logos transcende l’existence.
 
  La parole ne s’abstrait pas
« du reste des phénomènes »
150
La poétique japonaise
confirme la même disposition:
chaque être vivant chante son
chant telle la fauvette
ou « la grenouille
qui gîte dans les eaux ».
note 270, 150-1.
Il s’agit dès lors « d’empêcher
le logos de se donner libre
cours »; il s’agit de
« parler plutôt de
concrescence, l’aller-avec
des mots et des choses. » 151
En Occident, quand le logos
l’a-t-il emporté ?
Quand cet aller-avec s’est-il
disjoint ?
Avec Platon et Aristote ?
Un rapprochement entre
les Présocratiques et le
taoisme est fait par un
spécialiste de Parménide,
cité par A. Berque.
En occident, le logos l’a
emporté: cela entraîne
l’impossibilité de penser le
symbolique
* où le duel est un,
* où A est aussi non-A,
* où les mots ont du sens
parce qu’ils vont
concrètement avec les choses.
153
 


Textuellement, cela donne:
Pour Aristote, seule l'identité (A) et la contradiction (non-A) existent. Il est pour lui impossible d'être à la fois A & non-A. Ils sont incompatibles, « un seul des deux peut exister. » 148 Pourtant, « Le monde de la réalité est à la fois être et non-être. Le monde du logos exclut leur coexistence. »
Pour lui on ne peut pas être et ne pas être. (William, au secours !) Le principe de contradiction structure la logique (aristotélicienne). Chez Hegel, ce principe devient la dynamique de l'être lui-même.

A. Berque, à la suite de Yamauchi T. affirme qu'il y a une logique en dehors du logos. S'y perd dès lors « cette arrogance & cet abus de pouvoir de la pensée occidentale. » 149

La pensée orientale adopte la logique du lemme: elle constitue « une aile du système de pensée mondial. » 149

A. Berque revient sur cet exemple marquant de la différence entre Julie est triste (Occident) et Julie semble triste (Orient). L'Occdient se donne libre cours par rapport à l'existence. « Vous avez beau ne pas être Julie, et donc en toute rigueur être incapable de dire qu'elle est triste, le logos (votre langue maternelle) vous permet de vous abstraire de cette capacité. En somme, dans le plus banal des énoncés, vous pouvez transcender l'existence. » (nb: désormais, je me saisis du semble beaucoup plus souvent.) 149

Et pour le plaisir d'un NULLE PART supplémentaire (je les trrraque !), une citation de R. Descartes:

« Du reste, la même tendance à l'abstraction s'exprime plus encore, mais à l'envers, dans l'énoncé fameux de Descartes, " Je connus de là que j'étais une substance [...] qui pour être, n'a besoin d'aucun lieu, ni ne dépend d'aucune chose matérielle" (§1): cette fois, le locuteur est bien dans son énoncé mais ce couple n'est nulle part; il s'abstrait de toute circonstance existentielle, comme va justement le faire le regard scientifique moderne. » 149

 Pôvre René, à force d'être nulle part, il s'est fait démonter...  « »

§32 Le bannissement du troisième genre 

Pour définir le lien entre langue et pensée, nulle causalité mais de la contingence. Ce mot vient de cum-tangere, se co-toucher.

Parole: vient de wek, qui donne epos en grec (d'où épique, épopée), vox en latin (d'où voix, vocable, avocat, aveu, (r)évoquer). Dès le regveda (un texte en sanskrit, Hymnes védiques, 2e millénaire avant notre ère), il est dit « que toutes les créatures parlent. » Cela préfigure la biosémiotique qui dit que « la transmission de sens est coextensive à la vie. » Cette prémonition rapproche « l'humain des autres vivants » 150.
La parole ne s'abstrait pas « du reste des phénomènes. » La poétique japonaise affirme la même disposition: chaque être vivant chante son chant, telle la fauvette ou « la grenouille qui a gîté dans les eaux » note 270 150-1
Il s'agit dès lors d'empêcher le logos de se donner libre cours et de « parler plutôt de concrescence, l'aller-avec des mots & des choses » 151

Il doit être jouissif quelque part pour l'auteur de maîtriser tant de liens, tant de langues, tant de concepts & être devenu soi-même un tel carrefour.

Pour l'Orient, la réalité se compose de l'aller-avec des mots & des choses. C'est une croissance conjointe à laquelle il est insisté, une concrescence. Alors que pour l'Occident le logos décompose analytiquement cette concrescence des choses. Et c'est peut-être à cause de cette dé-composition du lien étroit qui existerait entre les mots & les choses que le logos occidental en serait venu à « engendrer le TOM et la décosmisation moderne; notamment la disjonction, par le capitalisme, entre le travailleur et le travail. » 152

Quand le logos l'a-t-il emporté en Occident ? Probablement avec Platon et Aristote. Un rapprochement entre les présocratiques et le taoisme a été fait par un spécialiste de Parménide, cité par l'auteur. Le fait que le logos l'a emporté entraîne « l'impossibilité de penser le symbolique, où le duel est un, où A est toujours aussi non-A; où les mots ont du sens parce qu'ils vont concrètement avec les choses. » 153

 § 33 la troisième des deux vérités
Une réalité concrète « n’est réductible ni à S ni à P » 160. La réalité concrète n’est aucun des deux termes (3e lemme), c’est une bi-négation. » C’est parce que la chose est irréductible tant à un pur objet (S) qu’elle acquiert sa réalité concrète qu’à un pur prédicat (P). La réalité concrète est S en tant que P, à la fois S & P.
Le 4e lemme com-prend, càd prend à la fois notre existence « imbriquée dans son milieu ». 160
« Dans un milieu humain, tout ce qui nous entoure relève nécessairement et simultanément d’une triple dimension:
1/ écologique, toutes les choses sont fonction les unes des autres, aucune ne peut s’abstraire.
2/ technique, toutes les choses ont un sens qui estfonction de nos systèmes techniques. Ce sens évolue au fil de l’histoire.
3/ symbolique, toutes les choses, en dépit de leur identité physique peuvent varier en fonction de nos systèmes symboliques, à commencer par nos
langues.

Pt 160 Une vérité profane qui repose sur les lemmes 1 & 2 permet l’abstraction (le recul, le s’abstraire de) propre aux constructions rationnelles qui font la logique, la science et la technologie moderne.
Dans le bouddhisme du grand véhicule, la vérité suprême repose sur les lemmes 3 &4. « Cette dimension-là existe effectivement et universellement dès lors que l’on admet la phénoménalité des phénomènes, càd le fait que les choses soient à la fois, et en réalité, ce qu’elles ont en propre (S) et la manière dont elles nous apparaissent (P). Cela suppose nécessairement la symbolicité, car il y a symbole dès lors qu’un existant quel qu’il soit, entrant en relation avec un objet quelconque (S), l’interprèteen tant que quelque chose (S/P). » 161

La société est le moyen terme
concrètement nécessaire entre
l‘universel  & le singulier
la vie  & le vivant individuel
l’humanité  & l’individu humain

(Note 290)

En tant que ≠Parce que
Concrescence =
croître ensemble
 Causalité
A & B vont ensemble
se font mutuellement
exister.
A entraîne B.

 

§34 en deça du bond mystique

La coproduction conditionnée = production en convergence, allant en fonction de.
Première formulation
° d’une loi de conditionnalité des phénomènes
° de l’idée même de fonction (R.-P. Droit).
Yamauchi
« Les choses se coattendent par cause et lien, adviennent, soit la co-suscitation. » « L’ffet mutuel que les choses exercent sur les autres, y compris par rétroaction. Cela va beaucoup plus loin que la causalité que cela n’exclut d’ailleurs nullement. » La co-attente (from Yamauchi)= le 3e lemme, la voie du milieu, nie chacun des deux termes de ce qui est en relation.

Le 3e lemme, la négation absolue « ne consiste pas à nier obstinément tout à propos de tout. Elle est de nier chacun des deux termes de ce qui est en relation. » 163
C’est la voie du milieu: « elle nie la naissance en niant la disparition. » ces changements sont des réalités: « il n’y a pas à les nier. »… « Les nier, ce serait pour le coup du nihilisme. » 164
La voie du milieu « affirme la non-naissance comme la non-disparition. » 164
La négation absolue nie la correspondance entre les deux « car l’absolu est ce qui coupe la correspondance. » Les deux (naissance et disparition) sont coattentives. « La naissance est naissance en fonction de la disparition. » la disparition attend la naissance pour pouvoir être disparition. »
« la non-naissance-non-disparition doit bien être ABTENTION », càd le vide. « si l’absolu est négation de la correspondance, la négation de la coattente doit être le vide. » 164 Aha ? fis-je en retapant ceci. Si vous avez tout compris, vous me prévenez ?

Pour la mésologie, la coattente relève « de la réalité profane qui nous entoure ». La coattente, c’est la tension vers. Le calage, c’est « prendre appui sur un maître, une personne vertueuse. » 165
Le calage « repousse à l’infini la question de l’origine des choses; c’est bien pourquoi le bouddhisme, comme toutes les religions, se doit d’avoir des absolus (le vide, les vérités suprêmes) pour pouvoir commencer à dire quelque chose aux gens. » 165
« les religions doivent absolument effectuer ce BOND MYSTIQUE vers l’absolu… au-delà du profane. » 165
« la mésologie ne peut suivre aucune religion dans le bond mystique… »

La mésologie « tient de la géographie le souci primordial de l’échelle concrète, dans l’espace et dans le temps donc concrètement dans l’histoire, des phénomènes qui vont toujours ensemble, càd jamais dans l’absolu. 167
1  Coattente
= les choses de notre milieu « sont en coattente càd en tension les une envers les autres. » 167
2  Pour passer du 3e au 4e lemme, avec la lemmique du càd « dans une immédiateté à la fois temporelle et spatiale qui relève de l’intuition, non de la dialectique. » 167

Et ce calage trajectif est déjà très bien documenté sur nulle part:

Le milieu et l’histoire sont les deux piliers de la mésologie.