3e
RÉEMBRAYER 
 VIII La nature
 fait sens pour
 la nature …
 et au delà
 35 Sens, milieu, subjectité
     36 La trajection
 du physique au sémantique
     37 La médiance du vivant
     38 S'identifier à une
 autre subjectité
     39 La nature fait sens
 de soi-même ainsi

 

Troisième (et dernière) partie: « Réembrayer la nature et la culture passe nécessairement par la question du rapport entre histoire et subjectité, ce à tous les degrés de l’être, allant, par l’évolution, de la vie la plus primitive à la conscience la plus humaine. » 11

§35 Sens, milieu, subjectité

L’écoumène présuppose la biosphère qui présuppose la planète. La mésologie se donne pour tâche d’établir le lien concret entre ces trois niveaux du sens.
Médiance= le sens/la signification du milieu tel qu’il se définit par écoumène / biosphère / planète.

Trois niveaux
de sens
  Sens1
signification
Doué de /
capable de
1 la matière
inanimée
 Planète  Fleur ↓  
2 le vivant  Biosphère  ↑ arbre ↓  ☯  Perceptions
 ☯  sentir des choses
 soi ≠non-soi
 ☯  Subjectité,
 l’arbre
 possède un soi
 jusqu’à un certain
 degré2.
 ☯  La subjectité
 apparaît avec
 la vie.
 ☯  choisir
3 l’être humain  Écoumène     

1 La médiance = le sens d’un milieu 173 Racine indo-européenne: sent- prendre une direction, une orientation & remarquer. D’où sinnan du germanique, qui signifie aller vers-, s’efforcer de, penser à.
Le latin donnera sensus, capacité de sentir et de signifier. Il y a dans tout cela une idée de tension vers quelque chose. « Ce qui est en jeu, c’est le moment structurel de l’existence. » note 315 p 174
2 La subjectité apparaît avec la vie, se développe et va jusqu’à l’être auto-référentiel du cogito qui ne reconnaît pas la subjectité des autres êtres vivants, hormis chez ses semblables. La marge de liberté d’un arbre « n’est pas du même ordre que celle dont jouit un animal. »

Le mécanicisme cartésien est dépassé mais « détermine encore largement nos manières de penser, notamment en biologie. » Canguilhem s’est battu contre ça.
Les causes chimiques (comment) ne sont pas des raisons, des motifs (pourquoi) or ce sont les raisons qui font que « la subjectité du règne végétal a inventé ce mode de relation « en vertu d’une certaine histoire », à la lumière de lagravité. Le minéral en est incapable.
« le mécanicisme ne reconnaît pas la subjectité du vivant. » il lui refuse dès lors la capacité de choisir. Il ne prenden compte que le comment, pas le pourquoi. En traitant le vivant comme un objet, le mécanicisme rate « l’essentiel de ce qui est sa vie ». 175

« Là où l’on ne reconnaissait que mécanotaxie ou chimiotaxie (où le vivant suit à la trace des molécules chimiques),on parle aujourd’hui de haptotaxie (du grec haptein, toucher, et taxis, mise en ordre), de durotaxie, et même de plithotaxie (du grec plêthos, multitude), c’est-à-dire d’une capacité de coopération émergente dans les groupe de cellules [11] » Séminaire Mésologiques, EHESS. Vendredi 22 mars 2013, Sujet, sens et milieu, la trajection du physique au sémantique, Exposé d’Augustin BERQUE
[11] D.T. TAMBE et al., Collective cell guidance by cooperative intercellular forces, Nature materials, 10(6), 469-475, 2011.
Cet exposé est antérieur à la publication de Poétique de la Terre et lui a vraisemblablement servi de terreau.

« Une mécanique n’interprète pas & n’agit pas; elle réagit, c’est tout. » 176
J von Uexküll est un scientifique qui a contesté le mécanicisme de la façon la plus radicale : ses travaux ont ouvert la voie de l’éthologie et de la biosémiotique. Pour lui, « les animaux sont des sujets dont l’activité essentielle consiste à percevoir et [à] agir. »
Le vivant « interprète le donné environnemental (umgebung) pour en faire son milieu (umwelt) [qui est] spécifiquement adapté à son espèce et aux termes duquel il s’adapte lui-même créativement dans un cercle vertueux de son propre monde. » le monde d’une espèce n’est pas l’autre.

« Un milieu optimal est le plus favorable qu’on puisse imaginer. » JvU « il y a une adéquation mutuelle, un accord entre le milieu et l’espèce. Chaque espèce est la mieux adaptée à son propre milieu. » 178


§36 La trajection du physique au sémantique

« Comment passe-t-on de l'information à la signification ? » 181 Ce sous-chapitre concerne aussi les journalistes (cet exemple est personnel & ne figure pas dans l'ouvrage) et leurs écoles. Pas que. Trop d'entre eux ignorent tout de ce passage et passent donc à côté de leur mission de décodage.
L'auteur associe ce passage de l'information à la signification à celui qui fait passer du 3e (ni A ni non-A) au 4e lemme (à la fois A et non-A). L'instrument de ce passage est similaire à la lemmique du c'est-à-dire « dans une immédiateté à la fois temporelle et spatiale qui relève de l'intuition, non de la dialectique. » 159

L'infinie fécondité de ce passage tient de l'intuition créative et créatrice de monde. « Ce processus [...] bizarre, c'est une trajection. » 181 Il est bizarre « puisque son mais aussi:
- échappe au logos,
- n'est pas numérisable,
revient à ce qui distingue le vivant de la machine. » 181
On peut comprendre que, pour le mécanicisme cartésien, cela soit une singularité, pire une extravagance, un écartement de LA voie (LA puisqu'il n'y en a qu'une), un errement, une divagation de diva, une errance sans fin.

Signifier, c'est mettre en signe; cette mise en signe « interprète et représente » une trajection qui « évolue
- dans le temps & dans l'espace à toutes les échelles
- MAIS AUSSI dans l'immédiateté, est toujours immédiatement là, dans le phénomène de la vie. » 181

Je vais essayer d'éviter le recours à la logique formelle pour expliquer ce que je comprends de la démarche, car, finalement, la logique abstrait trop le propos pour le commun des mortels que je suis.
Interpréter, c'est expliquer. En latin, interpres fait référence à l'intermédiaire, au courtier, au chargé d'affaires puis au commentateur. Je me fais donc ici l'interprète auprès de vous de ma compréhension. A mes risques & périls (et aux vôtres si j'errais trop...).

Pour les journalistes interprétant le réel à partir d'informations vérifiées, il s'agit donc de traduire en commentant les données brutes qui jaillissent du réel... sur les « téléscripteurs» des agences de presse. Toutes ces données ne sont pas des informations. Seules celles qui passent le tri données brutes/données informantes-informatives font pour eux l'objet d'une traduction, d'un commentaire dont la fonction est multiple:
- relier entre elles les informations pertinentes,
éclairer l'une par l'autre,
mettre en perspective,
- & offrir un décodage qui va au delà de la simple présentation factuelle.

Ce principe d'interprétation continue évolue avec la construction indéfiniment évolutive de la subjectité de l'interprète dans le milieu et par le milieu. Ce principe vaut pour « la vie la plus primitive » comme pour « la conscience la plus humaine ». 181

Pour un géographe, les échelles sont importantes. La chaîne trajective évolue à toutes les échelles scalaires de différents ordres qui sont métriques: elles sont mesurables dans le temps comme dans l'espace. Ces échelles métriques « sont aussi ontologiques [càd] en dehors du temps et de l'espace [et relèvent] ainsi de l'immédiateté du syllemme » 181 (le 4e lemme). Le syllemme inclut le symbole.

Information/signification

La signification
- ne se réduit pas à l'info, ne s'y substitue pas,
- élabore l'info,
- métabolise l'info pour s'en nourrir créativement,
- a toujours besoin de l'info comme matière première
- n'est pas de l'info. 183

Le constructivisme « se contente de juxtaposer des mondes, tous aussi absolus (donc incommunicables) les uns que les autres. » 185
La mésologie, elle, considère que la réalité de tout milieu résulte d'une chaîne trajective.

Je passe sous silence les références à Heidegger (183) et à Peirce (186). Ils n'évoquent rien dans mon univers. J'ai déjà expliqué ailleurs le souci qu'a l'auteur de s'insérer dans des filiations afin de montrer que la mésologie n'est pas apparue ex nihilo. Il est en cela plus que convaincant. Ce souci est bien sûr légitime mais alourdit parfois/souvent - entre les deux adverbes, mon coeur balance ! - le propos, au risque d'étourdir le lecteur... Il convient parfois de ne pas se laisser (trop) impressionner par la profondeur multidimensionnelle que l'auteur donne à son propos. Cela dit sans malice & avec respect. Je sais d'expérience que le risque est grand de passer à côté de messages essentiels, notamment à première lecture. Je n'aurais pas entrepris ce long cheminement analytique dans son oeuvre si je n'étais convaincu [et maintes fois confirmé dans cette conviction - oui, je sais ! -)] que son message est essentiel pour indiquer à nos sociétés occidentales une possible sortie par le haut.

NB: Un très intéressant article signé par Yann Diener dans Charlie Hebdo 1221 (16 12 15) pose la question: Comment peut-on être Heideggerien aujourd'hui ? Il y répond de manière radicale, soutenu en cela par l'ouvrage récent de Monsieur F. Rastier accessible en suivant le lien hypertextuel attaché au nom du philosophe nazi. Monsieur F. Rastier semble pas être le seul à intervenir dans ce sens suite à la publication d'extraits des Cahiers noirs heideggeriens.


§37 La médiance du vivant

Deux ou plusieurs espèces coexistent dans le même milieu: chacune d'entre elles élabore un milieu de vie concret par co-suscitation entre le milieu et l'espèce. Imanishi élabore une médiance au niveau de l'espèce tandis que Watsuji élabore une médiance au niveau de la culture. Imanishi est un primatologue japonais, dont je viens d'emprunter l'ouvrage intitulé Le monde des êtres vivants en bibliothèque publique. A. Berque consacre aussi un texte disponible sur Mésologiques à Imanishi. Il vient par ailleurs de rédiger une postface (apparemment) à un ouvrage d'Imanishi K. publié en novembre 2015 par les éditions Wildproject: La liberté dans l'évolution.

Watsuji Imanishi
Milieux humains  Milieux vivants (animaux)
 concept= médiance  Concept= écospéciation
 = moment structurel
de l'évolution
humaine
 
 subjectité  subjectité
 Cosmisation du corps
somatisation du monde
 environnementalisation
 du sujet & subjectivation
 de l'environnement
L'évolution humaine a
pour condition la
médiance = couplage
dynamique, dans notre
espèce, entre corps
animal & corps
médial.
corps médial = milieu
éco-techno-symbolique
 L'évolution des espèces
 aurait pour condition
 la médiance.


Nous sommes transmortels: individuellement, nous sommes mortels; comme espèce, nous survivons à la mort individuelle.

§38 S'identifier à une autre subjectité

Ce titre évoque le syllemme qui « permet à l'observateur de se mettre à la place de l'observé en tant que sujet. » Ce être à la fois moi et à la place de l'autre correspond à l'empathie, me semble-t-il. N'est jamais meilleure infirmière que celle qui a été hospitalisée...

Darwin et Thatcher (oui, LA Maggie !) ont le nominalisme en commun. Pour lui, le pourcentage de gènes dans le groupe définit une population, pas une société. Pour elle, There is no such thing as society.
Mendel (l'hérédité), Darwin (l'évolution) et Thatcher (cette catastrophe majeure arrivée au Royaume-Uni) sont des TOM, et sont dans la lignée d'Aristote. Par contre, Nishida, un philosophe japonais, est du côté de Platon.

L'auteur évoque un passage d'un ouvrage de V. Despret (ULg): Penser comme un rat.

§39 La nature fait sens de soi-même ainsi

La vie produit à la fois des écosystèmes & des mondes, parmi lesquels le nôtre, « qui est pour nous la conditionde toute réalité. » La nature existe autour de nous mais aussi en nous. « En latin, natura est le participe futur féminin de nasci, naître. » note 368 p 199
La nature est « à la fois l’univers et, indéfiniment, la ‘toujours-à-naître’ en chaque être vivant. » 200
La nature et notre nature sont unies dans « la spontanéité individuelle & … le cours naturel des choses ». 200
Et revoici la médiance: « c'est bien à la fois l'objet et le sujet, trajectivement unis dans le milieu par le moment structurel de l'existence », la définition donnée à la médiance par Watsuji T. au début de l'ouvrage qu'A. Berque a traduit en français en 2011.
Si la poésie en dit le chemin, l’art la montre, comme Courbet avec L’origine du monde. « Il revient à la science de le confirmer, au lieu de ramener les choses trois milliards d'années en arrière, au temps d'une simple mécanique de la planète. Voilà donc ce qui serait une science naturante..., laissant avec nous toujours naître la nature, au lieu de la tuer par arrêt sur objet (§14). » 200

Les deux derniers chapitres de l'ouvrage n'ont pas été analytiquement présentés ici. Les raisons en sont exposées dans . Un jour peut-être... C'est une question de nature héraclitéenne: que suffisamment d'eau ait coulé sous les ponts et que le manque s'en fasse sentir !