C’est ainsi que les synthèses naissent.
Il leur faudra ne s’offusquer de rien.

 

J’aime beaucoup cette remarque mêlée à d’autres de l’année 1948, sous la plume de L. Wittgenstein (LW):

La remarque
« Il se peut qu’un expédient stylistique qui me serait pratiquement utile me soit pourtant interdit. Le « en tant que » de Schopenhauer, par exemple. Il rendrait l’expression beaucoup plus commode, beaucoup plus claire, mais il ne peut être employé par qui le ressent comme archaïque; & il ne faut pas passer outre une telle impression. » 143

Malaxages
Il ne peut employer cet expédient linguistique utilisé par Schopenhauer parce qu’il le ressent comme archaïque, comme – trop – ancien; il a l’impression que cet expédient linguistique est archaïque & il ne souhaite pas passer outre cette impression. Il admet pourtant que cet « en tant que » lui serait pratiquement utile parce qu’il rendrait l’expression (de quoi, dans quelles circonstances ?) beaucoup plus commode, beaucoup plus claire, mais se l’est « pourtant interdit ». Il ne dit pas par qui cette interdiction est prononcée. Nous pouvons raisonnablement supposer qu’il en est l’initiateur puisqu’il fonde cette retenue (il se retient d’utiliser « en tant que » dans ses écrits, même si les arguments pour céder à cette envie ne manquent pas sous sa plume) sur un ressenti d’archaïcité & qu’il ne faut pas (mais de qui provient cet interdit ?) passer outre une telle impression, un tel ressenti.

Cet interdit d’utilisation rend son expression philosophique moins claire, plus obscure, probablement plus allusive et moins directe. Beaucoup d’inconvénients pour un interdit et un « il ne faut pas ». D’où lui viennent ces conformismes par rapport à une règle ? Cette règle est-elle extérieure à lui ou bien lui est-elle intérieure (ou intériorisée) dans la mesure où elle est la conséquence d’un ressenti, d’une impression ? C’est comme si cet expédient stylistique suscitait en lui une perception d’un usage vieillot (archaïque) qu’il s’interdirait dès lors d’utiliser, quand bien même cela serait beaucoup plus commode et beaucoup plus clair; quand bien même cela conviendrait pour la circonstance (définition d’expédient dans LGRob), circonstance qui reste à mes yeux mystérieuse.

Une forme d’éthique stylistique… non dite. Il est évident qu’une éthique peut interdire d’agir de telle ou telle manière. Le tout est que l’éthique ne paraisse pas futile. En tout cas, pour LW, elle ne l’est pas. Si cette remarque mêlée à d’autres chez L. Wittgenstein a retenu mon attention, c’est évidemment « à cause de / grâce à » l’usage qu’en fait A. Berque (AB) dans l’exposition de la mésologie.

r = S/P
« r = S/P se lit: la réalité, c’est le sujet en tant que prédicat. Tout sujet-Moi, individuel ou collectif, humain ou non-humain, a son monde propre. Le 'en tant que' = la trajection. C’est à la fois l’assomption de S → P & l’hypostase de S ← P. » (article Renaturer la culture, reculturer la nature, par l'histoire). Voir le lexique mésologique pour le sens que la mésologie donne à mésologie, TOM, trajection.

Cette définition mésologique de la réalité permettrait peut-être même bien de confirmer l’impression exprimée par LW qu’il eût été plus commode et plus clair d’en user, puisque la mésologie, qui en fait ample usage, aboutit à la nécessité de préciser le sens de la trajection à partir de cet « en tant que ». Ce concept aurait peut-être pu apporter commodités et éclaircissements supplémentaires à LW, s’il s’était autorisé à passer outre son ressenti d’archaïcité. Il aurait peut-être pu aboutir à d’autres concepts porteurs, s’il n’avait ressenti le besoin de se mettre des limites face à ce qu’il désignait d’une expression potentiellement quelque peu « méprisante »: « expédient stylistique», puisque qu’un expédient semble lui être un pis-aller « qui convient pour la circonstance» (LGRob), auquel il n’a pas accepté de consentir par respect pour un ressenti personnel, honorable en soi – car il est peut-être bon de ne pas aller à l’encontre d’une intuition personnelle, sauf si, à l’analyse, elle se révélait être un frein pour mener à bien une réflexion, une écriture, une action. Cette attitude a pu le trahir. Il n’a pas jugé bon de passer outre.

Conclusion ? Provisoire, alors !
Un autre (AB) que lui (LW) a peut-être retissé la trame wittgensteinienne perdue en chemin en passant outre, ou en n’ayant pas la même impression, la même intuition. Caressant par la même occasion une audace de l'en tant que chez A. Schopenhauer. Mais n'est-ce pas là lien trop ténu qui repose uniquement sur cet en-tant-que ?

Serait-il pensable d’émettre l’hypothèse que le rigorisme religieux de LW, dans un cadre strictement chrétien, ait pu lui jouer un mauvais tour en l’espèce ? L’influence bouddhiste exercée sur A. Schopenhauer élargissait peut-être son angle de vue, de façon qui paraît superficiellement plus pertinente, en l’espèce. Sans réelles connaissances en histoire de la philosophie, seulement équipé d’une humilité sincère, je me garderais évidement bien de l’affirmer de façon péremptoire.

Pour suivre
La mésologie semble, en l’état de compréhension que j’ai atteint pour l’instant, offrir un outillage complet pour mieux comprendre le réel, la réalité.
Munie de bribes de meilleure compréhension personnelle, la mésologie me permet de mieux supporter les errements dans lesquels notre monde occidental se fourvoie. Le distanciement face à des comportements du TOM (le Topos Ontologique Moderne, l’homme, mon contemporain…) en est facilité. Cela agit très positivement sur le mental qui, décodant mieux ses outrances, a appris à s’en distancier & à prendre « les choses » avec davantage de bonhomie méditative…

La mésologie pourrait-elle devenir une philosophie pour l’action ? Par la nature même de certains exemples pris par AB, au détour de l’un ou l’autre raisonnement serré, elle en paraît en tout cas capable.
Offrir un éclairage probant sur le réel, la réalité, favorise une meilleure et plus complète prise de conscience des impasses de notre monde. Le décodage semble pertinent. Dépasser le décodage, s’en servir pour baliser fermement le chemin à suivre, l’action à entreprendre, paraît être à portée, si pas de main, du moins de l’un ou l’autre « YAKA » ! (il n’y a qu’à faire comme ci ou comme ça, avec les balises fermes posées par la mésologie comme guides).

Une équipe comme celle qui gravite autour de J.-L. Mélenchon pourrait à l’occasion s’en saisir, même si l’homme semble déjà bien outillé intellectuellement en l’état.
Rendre plus populaire cet art philosophique difficile qu’est la mésologie n’est pas une mince affaire ! Il offrirait pourtant à ces alternatives qui se construisent ci & là* une colonne vertébrale qui leur manque souvent pour irriguer mieux la moelle, la vie, qui y circule pourtant de façon si instructurée.


J’ai eu ces ouvrages en main lors de l’écriture de cet article:
-  Chauviré C. & Sackur, S., Le vocabulaire de Wittgenstein, Ellipses, 2015. (emprunt en bibliothèque publique)
-  Law, S. Philosophy, Eyewitness companions, DK, 2007
-  Michiels, A. Fragments sur le sens, 2006, http://promethee.philo.ulg.ac.be/engdep1/download/
-  Schopenhaueur, A. Aphorismes sur la sagesse dans la vie, éd. France Loisirs, 2001.
-  Wittgenstein, L. Remarques mêlées, GF Flammarion, 2002. (emprunt en bibliothèque publique)

La séquence a pour origine les Fragments sur le sens d’A. Michiels, un collègue du temps où nous enseignions ensemble aux Traducteurs-Interprètes de l’ISTI, Bruxelles.


* Malheureusement de façon beaucoup trop dispersée, en chapelles s'auto-excluant au nom d'idéologies souvent philosophiquement mal assises ou désuètes.