L'entretien entre trois philosophes et Gilles Deleuze pour Libé en 1980, repris dans Pourparlers livre des perspectives intéressantes, indiquant du coup l'intérêt d'approfondir. Un philosophe au parler clair face à Christian Descamps, Didier Eribon et Robert Maggiori: Bribes.

« Mille plateaux: un ensemble d'anneaux brisés. Chaque anneau, chaque plateau, devrait avoir un climat propre, son ton propre ou son timbre. C'est un livre de concepts. » 37

Une ouverture vers les arbres notionnels... peut-être.

 Dans cette bribe, Deleuze explicite le lien entre la linguistique pragmatique et la philosophie: « Félix [Guattari] a vu un mouvement qui tendait à transformer la linguistique: elle avait été d'abord phonologique, puis syntaxique & sémantique, mais devenant de plus en plus pragmatique. La pragmatique (les circonstances, les événements, les actes) avait été longtemps considérée comme le "dépotoir" de la linguistique, mais maintenant elle devient de plus en plus importante: une mise en acte de la langue telle que les unités ou constantes abstraites du langage ont de moins en moins d'importance. Ce mouvement de recherche actuelle est bon, parce qu'il permet justement des rencontres, des causes communes, entre romanciers, linguistique, philosophes, "vocalistes", etc. (j'appelle "vocalistes" tous ceux qui font des recherches sur le son & la voix dans des domaines aussi différents que le théâtre, la chanson, le cinéma, l'audiovisuel... Il y a là un travail extraordinaire. » 43 Mon intérêt pour la linguistique pragmatique trouve ici une forme d'inclusion philosophique, une prise sous aile philosophique en quelque sorte, qui me plait assez.
 
 Je trouve cette bribe particulièrement fructueuse: en effet, la terminologie notionnelle, telle que je l'ai pratiquée au sein de l'équipe de Termisti (Daniel Blampain, Marc Van Campenhoudt, à l'Isti), prend aussi le concept comme principe organisateur. C'est dans cet extrait deleuzien que s'explicite le rapprochement probable entre philosophie et terminologie.  « Tout le monde sait que la philosophie s'occupe de concepts. Un système, c'est un ensemble de concepts. Un système ouvert c'est quand les concepts sont rapportés à des circonstances et non plus à des essences. C'est que, d'une part, les concepts ne sont pas donnés tout faits, ils ne préexistent pas: il faut inventer, créer les concepts. ... Créer de nouveaux concepts qui aient une nécessité, ça a toujours été la tâche de la philosophie.
C'est que, d'autre part, les concepts ne sont pas des généralités dans l'air du temps. Au contraire, ce sont des singularités qui réagissent sur les flux de pensée ordinaires: on peut très bien penser sans concepts, mais dès qu'il y a concept il y a vraiment philosophie..." 48-49
« On nous reproche d'employer des mots compliqués... Un concept a tantôt besoin d'un nouveau mot pour être désigné, tantôt se sert d'un mot ordinaire auquel il donne un sens singulier. » 49  J'entends bien cette nécessité parfois de créer des néologismes. Il est vraisemblable toutefois qu'il existe un seuil à ne pas dépasser, au risque de rester une réflexion restreinte à un cercle d'initiés, empêchant par là même sa diffusion plus universelle.