C'est à une autre avancée majeure dans les traductions disponibles de l'Éthique spinozienne que ces six chercheurs (dont trois sont qualifiés d'indépendants dans les Notices biographiques, 929-932) ont confiée aux éditions Flammarion. Soulignons d'emblée le bel effort entrepris par l'équipe éditoriale qui a vraiment innové dans la mise en page. Elle est d'ailleurs citée & chaleureusement remerciée par l'auteur principal (p. 25). La lecture de cette oeuvre complexe s'en trouve ainsi facilitée.


Les principes que ce groupe d'amis (Filip Buyse, Russ Leo, Giovanni Licata, Maxime Rovere & Stephen Zylstra) ont adoptés visent tous à « réduire l'écart artificiellement construit, par toutes sortes de jeux de pouvoir, entre les spécialistes & le grand public  26 ». L'effort me semble couroné de succès: Leurs principes rejoignent d'ailleurs d'autres jadis mis au point par François Richaudeau, notamment en créant les éditions Retz et le CEPL. Empathiquement nôtre dans sa présentation, terminologiquement adéquate dans ses choix de traduction, cette équipe a développé une approche transparente pour son lectorat. J'ai particulièrement apprécié

  • la différence faite entre animus, qu'elle traduit par "coeur" (32 occurrences) & anima par "âme" (3 occurrences) N234, p. 274; une première pour moi, cette distinction;
  • la proposition de traduire appetitus par "aspiration" ainsi qu'appeto par "aspirer";
  • la confirmation de la validité de traduire mens par "esprit".

Cette traduction à nouveaux frais bénéficie d'une typographie généreuse & d'une mise en page novatrice: elles sont au service de notre meilleure compréhension de l'oeuvre. Les procédés employés sont détaillés dans la Présentation de l'ouvrage. Ils en constituent le premier attrait majeur. Un deuxième attrait tient dans la complémentarité de spécialités assemblées dans ce cénacle d'amis 25:

  1. Filip Buyse: histoire des sciences,
  2. Russ Leo: littérature néerlandaise,
  3. Giovanni Licata: philosophie juive & philosophie arabe,
  4. Frank Mertens: histoire des Pays-Bas,
  5. Maxime Rovere: monde gréco-romain & l'entourage immédiat de Spinoza,
  6. Stephen Zylstra: philosophie moderne.

La richesse des 798 notes incluses dit assez la pertinence de cet assemblage de compétences complémentaires. Il adosse nos lectures à des assises plus fermes pour leur éviter de déraper dans le no man's land de si nombreux dangers de mauvaises interprétations du texte.

L'édition Flammarion de l'Éthique est devenue, en la pratiquant intensément ainsi pourvue de tant d'avantages, tenant principalement à la richesse encyclopédique des notes & de la mise en page très facilitatrice, qu'elle en est devenue le manuel que j'utilise le plus volontiers. Le texte latin, quand il s'avère nécessaire de le consulter, se trouve, lui, dans l'édition PUF emmenée par P.-F. Moreau.


Parmi les innovations de cette édition, citons en premier la mise en page. Dès la page 44, elles déploient leur potentiel maximal.

  • La page de gauche (paire) est réservée aux notes et la page de droite (impaire) à la traduction;
  • la taille de police diffère légèrement: elle vise un meilleur confort pour la traduction, mais n'est nullement illisible en ce qui concerne les notes:
  • la police de caractère elle-même, par sa lisibilité est un autre atout;
  • chaque fois qu'une note de structure apparait, elle est annoncée en page impaire par une demi-ligne intercalaire précédent la proposition; l'appel de note signale la présence de la note après le libellé de la proposition XX note ; ces notes sont systématiques & permettent de structurer l'ensemble des cinq parties avec leur aide; il eut été utile de disposer d'un tableau les assemblant en annexe d'ailleurs; elle aurait été complémentaire
    • de
    • (& plus complète, davantage adéquate que)
  • la table analytique des matières, elle bien présente entre les pp. 933 & 950; son origine, qui plonge ses racines au XVIIe s.), est dûment précisée;
  • l'italique dans la traduction est réservé aux renvois, ce système très complexe mis au point par Spinoza & affiné par ses amis pour la publication après son décès le 21 2 1677; cela constitue un ancêtre très abouti de nos liens hypertextes actuels. Une autre équipe, autour de Patrick Fontana, propose une mise en forme hypertextuelle complexe du système de renvois. Leur site en suivant ce lien.

La table analytique des matières remplit quatre fonctions bien détaillées dans l'ouvrage (933):

  1.  vise à combler le « manque de jalons explicites (titres de chapitres intitulés de paragraphes, table des matières), même si dans l'édition latine de 1677 (OP), les amis de Spinoza avaient établi un indes couvrant tout l'oeuvre posthume »
  2.  reprend & complète nos notes de structure en
    • indiquant le plan du livre,
    • mais aussi en résumant en italique des éléments que l'on peut estimer importants,
      • y compris lorsqu'ils se cachent dans des scolies ou des démonstrations,
      • voire lorsqu'il s'agit de propositions qui ne jouent pas de rôle structural;
  3.  comporte inévitablement une part d'interprétation & de choix personnels;
  4.  a un but purement instrumental:
    • il s'agit d'aider lectrices & lecteurs à se repérer dans le texte. » 933

Les renvois y sont à la fois à la page & aux groupes de propositions. En tant que lecteur, j'aurais apprécié que cette table analytique des matières abordées dans l'Éthique figurât aussi dans le corps du texte. Plus aucun va-&-vient n'eut alors été nécessaire. Je n'hésite pas à intégrer ces "jalons explicites" au crayon dans le texte. Ils y sont utiles.


J'ai notamment procédé de la sorte quand Spinoza se fait plus discursif en sortant quelque peu de sa pensée géométrique. M. Rovere relève cinq « portions de texte les plus longues » dans sa Présentation (17) car  elles permettent de « rencontrer la pensée de Spinoza dans ses expressions les plus claires: »

  1. Appendice, E.1, p. 153,
  2. Appendice, E. 4, p. 741,
  3. Dernier scolie d' E2, p. 319,
  4. Préface, E4, p. 555
  5. & Préface, E. 5, p. 767.

« Ces textes permettent

  • de se faire une image de cette philosophie originale & séduisante
  • bien qu'en les isolant, on reste encore en marge de l'aventure que propose l'Éthique. »

Chacune, chacun y fera son chemin propre, n'est-ce pas.


Parmi les jalons facilitant la lecture repérés par le linguiste F. Richaudeau dans son ouvrage La lisibilité (1969), cette traduction coche toutes les cases. La vérification vaut son pesant d'or.

Cette traduction annotée rend possible & facilite une lecture experte de notre part. Quand l'écriture se fait experte par

  • le jalonnage introduit & complété là où les OP étaient silencieuses,
  • la structuration clarifiée,
  • l'inclusion de 798 notes en page de gauche
  • en regard de la traduction qui se déploie en page de droite,

tout concourt en effet à lever de nombreux obstacles qu'un ouvrage, discuté en néerlandais, traduit ensuite en latin par l'auteur il y a trois siècles & demi, sème sous nos pas.

Les deux se rejoignent et contribuent à mettre en place, grâce à ces compétences disponibles de part & d'autre du texte — en amont (l'écriture) et en aval (la lecture) — les conditions propices à la construction d'une meilleure connaissance intégrée du texte philosophique présenté ici.


Avec cette nouvelle traduction, notre lecture se trouve  mise au coeur de ce travail collectif. Il met celui-ci au service de son lectorat en lui offrant des clés d'accès à une perspective novatrice sur le texte, ouvrant ainsi des possibilités accrues à notre compréhension fine de cette oeuvre majeure de philosophie. La lisibilité de cette traduction en devient plus élevée que dans d'autres ouvrages qui exigent de notre lecture un constant va-&-vient entre les notes rassemblées en fin de volume. Il est bien davantage aisé de profiter des apports nombreux & variés de ces notes du fait qu'elles se trouvent sur la page en regard de la traduction.

J'ai toujours en mémoire ces va-&-vient dans l'édition de poche lors de ma première lecture de l'Éthique dans la traduction proposée par R. Misrahi; ses notes sont sérieuses, empreintes de bon sens & valaient ces constants allers-retours, au prix d'un ralentissement parfois excessif qui nuisait à la compréhension. Le confort de la traduction dénudée réalisée par B. Pautrat a ensuite constitué, dans mon parcours, une fluidité agréable au palais ! Celle, très récente, de P.-F. Moreau a pris le statut d'ouvrage de référence, notamment parce que les nombreuses discussions savantes sur l'établissement du texte latin, une première en langue française, ont du sens pour l'histoire de la philosophie.


— Tableau 3 Comparaison des Notes de structure
dans deux traductions récentes de la cinquième partie de l'Éthique

La première fonction de ces essais de nature philosophique est de devenir des hébergeoirs pour mes lectures. Se confronter à un texte comme l'Éthique nécessite de s'équiper d'une traduction qui correspondrait le mieux à l'état de connaissance préalable que nous en avons.

Ces traductions référentes varient dès lors selon les personnes &, pour chaque personne, dans le temps. Jusqu'à présent, avant la parution de la traduction Flammarion, j'utilisais la traduction de B. Pautrat comme référence quotidienne, même si les nombreuses notes de R. Misrahi requéraient toujours ça & là mon attention. Pour le texte latin, depuis la parution du 4e tome des PUF, celle-ci est devenue incontestable. Son appareil de notes a également été fort utile lors de la familiarisation avec cette édition universitaire de longue haleine.

Il me semble que les différents comparatifs auxquels je me livre à titre personnel en cette fin d'année 2021 vont me faire préférer la traduction Flammarion, à la fois parce que la philosophie générale de ces Collegianten contemporains sied à mon approche pragmatique de linguistique & parce qu'une écriture experte y est mise en oeuvre, ce qui promeut à son tour une lecture experte, dynamique, dynamisée de notre part. Les deux expressions appartiennent au vocabulaire développé par F. Richaudeau qui en a approfondi de façon convaincante les caractères définitoires dans son oeuvre.

Avec ce 3e tableau, nulle intention de désigner un maitre-achat universel donc, cette universalité là n'existe pas; il s'agit uniquement d'y assembler quelques éléments probants d'un choix raisonné. C'est la raison pour laquelle aucune conclusion n'est tirée de cette comparaison appliquée à la 5e partie de l'Éthique, celle à laquelle, depuis longtemps, je reviens avec constance pour éclairer un cheminement personnel. J'y ai par ailleurs consacré une lecture cursive extensive qui a été (provisoirement) cloturée en mars 2021.


↓ 

Note de structure

← selon →

 

N280 Structure de la préface

  1. Objet: puissance de la raison; béatitude & rappel: nous n'avons pas un empire absolu sur les passions
  2. Les stoïciens ont cru à cet empire absolu
  3. Descartes les a approuvées & a cru l'expliquer par le rôle de la glande pinéale.
  4. Réfutation de ces thèses
  5. Les remèdes aux affects & la béatitude
    vont être déterminés à partir de la
    connaissance de l'âme.
     

N279

A. puissance de la raison, remèdes aux affects & amour envers [la nature] dans la vie  présente

prop. 1 à 20

N 722

prop. 1 à 10

 

 

 

 

 

 

N 739

5p11-20

 p. 1-2-3
principes qui permettent de transformer les passions en affects actifs
5p1 enchainement ordonné des idées
5p2 réattribution de la causalité
5p3 aptitude de l'esprit à trouver la clarté en lui-même
5p4 description des règles de cette transformation
5p5-6 en considérant leur nécessité
5p8-9 la multplicité de leurs causes
5p7 & 10 leur rapport au temps.

5p10s plusieurs exemples de leviers sur lesquels l'esprit peut s'appuyer pour transformer ses affects.
---
N 739

Le texte s'attache à démontrer l'origine & nature de la liberté de l'esprit, présentée d'abord comme le remède suprême aux passions. Pour cela, Spinoza montre comment "l'idée de Dieu" trouve sa place parmi les jeux d'images qui définissent notre quotidien (5p11 à 5p14), puis comment cette idée s'articule à une forme spécifique d'amour ("l'amour intellectuel") aux propriétés étranges: il n'a pas d'objet contraire (5p18) ni d'opposé (5p20). Voilà pourquoi il constitue un état stable, au point qu'il faut reconnaitre en lui la puissance même de l'esprit, autrement dit sa liberté.

B. Essence du corps, 3e genre de connaissance & amour intellectuel de [la nature]. prop. 21 à 40

 N752

5p21 à 5p23

 

N759

5p24 5p31

 

N770

5p32 à 5p36

 

N 780

5p37 à 5p39

N752 « ... ici commence une série de variations sur des thèmes théologiques dans lesquels Spinoza va délicatement couler des conceptions rationalistes. Ces morceaux de bravour s'autorisent plusieurs étrangetés de langage, où il est indispensable de distinguer soigneusement les termes imposés ar les questions d'avoec les formulations qui permettent les réponses. » p. 816

5p21 à 5p23 1e question: y-a-t-il une vie éternelle ?

N759 5p24 à 5p31 2e question: Existe-t-il une ou des formes d'union à Dieu ? [d'union à la nature; Voir la discussion sur sive dans ce texte lié]. « La question est immédiatement reformulée en terme de "connaissance", & reçoit une réponse positive, car cette connaissance est associée à l'acquièscement suprême (5p27) & à l'éternité (5p31). Ainsi ce groupe de proposition sous la 2e question « redéfinissent dans les termes d'une "science intuitive" la "vision béatifique" des théologiens tandis quye "l'éternité" métaphysique se substitue à la vie après la mort. »

N770 5p32 3e question: Qu'est-ce que le salut ?

 

 

N 780 5p37 4e question théologique: Puisque le corps meurt, y-a-til un autre corps dans l'éternité ?

 

C. Relation entre vertu, béatitude
& éternité de l'âme.
prop. 40 à 42

N788

5p40 à 5p42
5p40 5e & dernière question théologique: Qu'est-ce que la béatitude, considérée comme la suprême perfection humaine ?