Pourquoi je ne lirai pas le dernier Guy Goffette (par exemple, nothing personal, j'ai lu avec plaisir plusieurs ouvrages de cet auteur). Pas plus que je n’ai lu les ouvrages de Lydia Flem et de … et de … Ces auteur-e-s surfent sur leurs émotions, font souvent leur deuil sur notre dos (« par ici les sesterces, disent les éditeurs friands de cash flow ! »); ces livres, à peine romancés, ne parlent que du moi de l'auteur-e-, de ses émotions (dans l'espoir que la lectrice/le lecteur s'y reconnaisse, les fasse siennes), selon le précepte qu’il n’y a que  ça qui l’intéresse.

Je trouve d'un apparent renfort à cet argumentation, certes un polémique, dans un article paru dans Le Matricule des anges de juillet-août 2016 intitulé Mythologies, sous la plume de Benoît Legemble. Il y commente les « variations érudites et débraillées de Jérome Orsoni [qui] soulignent brillamment les limites de la métafiction. » L'éloquence d'Orsoni, nous est-il dit s'est « polie sur le marbre des tombeaux. » (p. 32)  Il nous dit que l'auteur souhaite liquider « la geste de » "ceux qui passent leur temps à écrire sur les dépouilles mortuaires de leurs aînés". L'article sera vraisemblablement disponible en lecture d'ici quelque temps, en cherchant dans les articles le titre de l'ouvrage: Pedro Mayr. (màj 23 7 16)

Eh bien non ! L'étalage de leur deuil tend à réduire l'espace vraiment privé dont chaque individu devrait pouvoir se revendiquer. Et cela me dérangerait de me promener à ce point d'intimité dans l'univers familial de quelqu'un d'inconnu. Donc pudeur de l'abstention.

Je lis peu de romans. Quand j’embarque, il est bon de se sentir emporté loin de ses soucis quotidiens par une langue belle dont la seule force soutient l’intrigue. La fiction est une friction d’imaginaires. Elle est possiblement réussie quand elle s’écarte de l’autobiographie à peine retouchée.
Des sagas comme Jacques Abeille sait en écrire dans le cycle des contrées (commencez donc par Les mers perdues) emmènent leurs lecteurs au-delà du quotidien, dans des cavalcades barbares si éloignées du réel qu’elles en deviennent des archétypes presque universels. Tout comme les Cités obscures de F. Schuiten et B. Peeters.

Quelques modèles d'univers personnels: Jacques Abeille, Jacques Sternberg, Laurence Sterne (à déguster dans la très belle traduction de Guy Jouvet), Linda Lê (qui ne parle que d'elle pourtant, mais avec quel talent!). Car le style fait l’œuvre. Il semble qu'à les lire on n'y sollicite pas sa propre mémoire émotionnelle, mais la mémoire vive d’un imaginaire en éveil, émotions comprises bien sûr. De neuves, d'inédites, de surprenantes... d'infréquentées.

L'autofiction tue la fiction, non ? Et ceci n'est pas forcément un plaidoyer pour la science-fiction, le fantasy, etc. Mais ça peut!