L’aménagement du territoire wallon est-il citoyen & transparent ?

Le cas d’une commune de la périphérie liégeoise

Ce texte a été publié sur Culture mulimédia en octobre 2011. Il concerne donc la législature communale 2006-2012. Je vous le repropose ici. De l'eau a coulé sous les ponts; le bilan qu'il dresse reste globalement le même, car je continue d'en suivre les débats au cours de la législature 2013-2018. Il est en effet décrétalement possible d'être membre effectif deux fois.

INTRO

Je vis dans une commune wallonne (je ne peux rien dire de Bruxelles, je n’y ai jamais été domicilié, désolé !). Elle est une des 38 communes décentralisées sur le territoire wallon. Grâce à cela, elle dispose d’une large autonomie en matière d’aménagement de son territoire. Cela présuppose un service d’urbanisme compétent (il l’est !), le respect de la législation régionale (elle l’est !), l’adoption d’une série de textes: schéma de structure communal, règlement communal d’urbanisme mis au point en prenant l’avis de la Commission Consultative Communale sur l’Aménagement du Territoire et de la Mobilité (CCCATM).

LE TERRITOIRE CITOYEN

1. Comment des citoyens sont-ils choisis pour faire partie de la CCCATM ?

Poser sa candidature auprès du bourgmestre en justifiant son intérêt à être repris parmi les membres (effectifs ou suppléants). Le processus de sélection en collège nouvellement élu en 2007 est peu transparent, vu de l’extérieur. Il ne semble pas régi par d’autres règles que le consensus majoritaire et le respect des pourcentages de représentativité issus des élections pour que l’opposition soir également représentée.

2. Comment ça marche ? La liste des membres a été approuvée par le ministre (région wallonne) & fait l’objet d’une publication d’arrêté au Moniteur Belge, assurant la transparence administrative suite à une procédure de sélection plus opaque.

La CCCATM a mis plus d’un an à être installée suite à un recours perdu déposé par l’opposition politicienne. Le Conseil d’État a finalement validé entièrement le respect des procédures par le collège communal. Beaucoup de bruits pour rien. Pendant le temps de la procédure, l’ancienne CCCAT continuait légalement à se réunir.

3. Composition: un quart politique – des conseillers communaux –, trois quarts citoyens. Cela dit, les citoyens sont teintés aussi… Je ne fais pas exception.

4. Assiduité: excellente. Nous sommes presque toujours au complet (sauf match de foot, une majorité d’hommes – comment avez-vous deviné ?! –) et les premiers et deuxièmes suppléant-e-s sont très souvent présent-e-s, Ils/elles participent à la discussion. Ce n’est qu’à l’appel des douze noms – ma commune compte moins de 20.000 habitants – d’effectifs présents ou de leur premier suppléant qu’une différence entre nous se fait jour. Une seule démission depuis l’installation.

5. Avis d’initiative: un seul gros dossier sur les aménagements individuels dans une ancienne cité de la Petite Propriété Terrienne a fait l’objet d’un groupe de travail et d’un avis à l’autorité communale. Donc, durant cette législature-ci, ma CCCATM prend peu d’initiatives personnelles, indépendantes.

LA TRANSPARENCE

1. La CCCATM rend des avis. Elle ne prend jamais de décision. Celle-ci revient à l’autorité élue. C’est normal.

2. Tous les dossiers qui demandent des dérogations par rapport au règlement communal d’urbanisme sont présentés à la CCCATM. Elle se réunit une fois par mois (sauf le mois d’août). Elle remet un avis dont on nous dit qu’il est respecté par l’autorité communale quand elle statue sur le dossier en collège communal (le bourgmestre et les échevins). On peut déplorer l’absence de suivi sur la décision finale prise. Nous n’en sommes pas avertis. Manque de transparence citoyenne donc, même si on nous dit que le collège suit presque tous les avis de la CCCATM. La nuance est dans le presque. On pourrait par exemple:

-nous signaler en début de réunion les dossiers où la commune a décidé contre l’avis de la CCCATM,

- et recevoir une fois par an, avec le bilan annuel, un tableau synthétique des décisions prises, mentionnant simplement la conformité (ou non) entre la décision du collège communal et l’avis remis par la CCCATM.

3. Par contre, et c’est très positif, l’ordre du jour de chaque réunion est envoyé dix jours à l’avance, à la fois par courriel et par courrier. Un compte-rendu de chaque réunion est également effectué et approuvé en début de réunion suivante. Un bilan annuel quantitatif est également établi. Je ne suis pas sûr que beaucoup de membres les lisent, toutefois… Nous avons globalement confiance dans la secrétaire de la CCCATM qui est également le chef de service de l’urbanisme et s’acquitte de sa tâche avec grand professionnalisme. Un bon point pour la commune.

4. Je serai nettement plus réservé sur la transparence en matière de mobilité. Par exemple, la décision d’implantations de multiples soi-disant brises vitesses sur les routes communales n’a pas fait l’objet d’un avis d’initiative. Si elle s’était penchée sur ce dossier, elle aurait vraisemblablement rendu un avis négatif, ce qui n’aurait rien empêché au niveau décisionnel (« vu l’avis négatif de la CCCATM, le collège décide d’implanter…. »).

Pourtant… épisodiquement, l’autorité nous informe de travaux réalisés ou à venir, notamment des travaux d’aménagement routier entrepris par la région wallonne (RW)… Cela ne mange pas de pain, évidemment !

La seule obligation de consultation en matière de mobilité, posée par le code wallon de l’aménagement du territoire,concerne le « plan communal de mobilité », sur lequel l’avis de la CCCATM doit être demandé.

5. Aucun membre de la CCCATM n’est censé connaître le code (334 pages au 5.09.11!); c’est la fonctionnaire communale qui s’en charge ainsi que l’échevin des travaux et de l’urbanisme qui est toujours présent. Il a voix consultative. Il n’est pas membre, en fait, mais il nous renseigne volontiers à l’occasion et sur demande.

6. Un beau souci d’informer les membres: en début de mandat, nous avons reçu tous les documents administratifs, des cartes imprimées (dont le plan de secteur, essentiel), et un cd-rom avec tous les textes au format pdf. L’information reçue est de très grande qualité; syllabus reprenant le Schéma de structure communal, le Règlement communal d’urbanisme et une étude d’un organisme universitaire sur ces documents. Nombreuses heures de lecture & de consultations possibles.

J’ai le sentiment que la majorité des membres les a survolés sans approfondir. J’y retourne à l’occasion quand un dossier m’intrigue.

7. Séances épisodiques d’informations sur des sujets divers, à l’initiative du bureau de la CCCATM, deux heures avant la séance proprement dite: ex. en 2011, un gros projet immobilier; le Plan Communal de Développement Rural; tout un quartier passé au crible d’un master en ingénieur architecte, etc.

8. Chaque dossier fait l’objet d’un vote oral nominatif (non secret donc) à l’issue de la discussion. Le secrétariat prend note du vote de chacun-e-. Dans le compte-rendu reçu par les membres, seul le résultat global est mentionné; cela m’empêche de vérifier mes feelings de lobbying partisans ou d’habitants d’un quartier occasionnellement « ligués ».

9. Une présentation orale de chaque dossier est faite en séance par le président, ce qui m’a fait décider que je n’étais pas « mandaté » pour aller fouiller dans les dossiers personnels déposés par les architectes pour remettre un simple avis. Ceux qui y vont sont tenus à la confidentialité.

10. La présidence veille à répartir le temps de parole entre les participants de façon équitable; un temps de débat est toujours prévu sur chaque dossier. Plutôt que de faire circuler les plans en cours de réunion, ce qui était une perte de temps, ils sont projetés sur écran pour commentaires. C’est une très bonne initiative, très favorable à la dynamique du groupe réuni.

11. La CCCATM essaie d’être cohérente dans ses avis, en respectant les documents réglementaires établis et ses décisions antérieures dans le même quartier;

- par exemple, les critères de densité à l’hectare sont souvent évoqués pour lutter contre la spéculation foncière, particulièrement par les grosses fortunes anciennes du coin (ils possèdent beaucoup de terres, certains depuis avant la révolution française, qu’ils distillent épisodiquement à des promoteurs immobiliers au prix fort !) ou par les fermiers qui rentabilisent de bonnes terres agricoles en bordure de routes, malheureusement. C’est dans ce type de dossiers que l’on sent s’il y a eu concertation occulte préalable parfois… Cela peut occasionnellement aller jusqu’à des jeux d’influence pour faire modifier le plan de secteur par la Région wallonne.

- Une couverture de sol drainante, ne pas occuper la zone non constructible entre deux maisons quatre façades – commune dortoir de type rural – ou pour les parkings commerciaux; etc. Cela évite les inondations par forte pluie.

- La CCCATM accepte toutes les pentes de toit, pour autant que ce ne soit pas un toit plat, qui fait l’objet d’analyse alors, en comparant avec l’environnement bâti. Cela empêche une certaine évolution, par exemple nous pourrions accepter tout toit plat àcondition de compenser la perte au sol par une toiture végétale équivalente. Ces attitudes innovantes, n’étant pas (encore ?) exigées par la Région, sont difficiles à faire passer dans les mentalités.

Cependant, je dois à l’honnêteté de relever un petit nombre de POINTS NÉGATIFS:

1. les membres qui se voient une fois par mois ont tendance à papoter dans des apartés qui créent un bruit de fond parfois gênant pour celles & ceux qui suivent la réunion; ou: quand les citoyens obscurcissent eux-mêmes les outils de démocratisation mis à leur disposition…;

2. des dérogations fréquentes au règlement communal d’urbanisme (rcu): profondeur du bâtiment (plus de 12m; dans une commune foncièrement riche, les propriétaires ont de l’argent pour leur l’espace intérieur), pente de toit, matériau en façade, orientation non verticale des ouvertures, trop peu de places de parkings quand un commerce s’implante. La dernière modification du rcu remonte à 2006. Pourquoi ne pas le mettre à jour ?

3. une frilosité certaine face à l’obligation communale d’épuration par lagunage là où il n’y a pas d’égouts, aux maisons passives, solaires, aux matériaux innovants, face aux maisons à structure bois, aux toitures végétales, aux gestes architecturaux forts, etc. Je ne connais pas la moyenne d’âge des membres effectifs mais elle me semble un peu élevée… Ceci peut-il expliquer ce conformisme ? Pas entièrement, bien sûr.

4. INTÉRÊT GÉNÉRAL contre INTÉRÊT PARTICULIER

Certains raidissements sont parfois perceptibles, & apparaissent comme concertés quand un quartier est concerné par un projet… ou lorsqu’un sympathisant d’un parti politique remet un projet.

Le dernier en date: la CCCATM a majoritairement voté contre une maison transformée en chambres d’hôtes (de l’hôtellerie à domicile, l’équivalent du Bed and Breakfast anglais) dans un quartier résidentiel huppé. La crainte du va-et-vient automobile et une mauvaise compréhension de ce qu’est une maison d’hôtes, malgré les explications données (= ce ne sont pas des kots étudiants ni un bar à hôtesses !) étaient symptomatiques du syndrome NOT IN MY BACKYARD (NIMBY – « pas dans mon jardin » littéralement ; « ailleurs » en fait…). Il est à l’œuvre, parfois de façon fort énervée et inadéquate.

Quand il est exagéré, ou émane d’une seule personne qui dramatise ses revendications – genre, « je n’aurai plus autant de soleil sur ma terrasse » (mais déplacez votre chaise, hein !) – alors qu’elle n’a pas voix au chapitre lors du vote, mais bien pendant la discussion… la réaction globale reste saine. On revient alors à la prise en compte de l’intérêt général…

Il s’agit évidemment d’un problème de déontologie personnelle.

CONCLUSION

J’ai, vous l’aurez compris, la chance de vivre dans une commune où l’autorité communale est favorable au rôle citoyen de la CCCATM; c’est loin d’être le cas partout.

Lors d’une formation organisée par INTER ENVIRONNEMENT WALLONIE, j’ai eu l’occasion (avec trois autres membres de ma CCATM) de m’en rendre compte en entendant l’expérience de conseillers dans d’autres communes.

L’autorité de tutelle (RW) promeut une participation citoyenne formalisée, la CCCATM n’est nullement une initiative citoyenne communale qui aurait abouti en partant de la base. Le fonctionnement démocratique de ma CCCATM est un gage de cette participation formalisée de haut en bas.

La réponse à la double question du titre est deux fois OUI dans le cadre de ma commune, avec la restriction que ma CCCATM est probablement plus transparente en respectant bien la législation qu’elle n’est citoyenne en prenant beaucoup d’initiatives. Il est parfois si difficile de (faire) respecter l’intérêt général dans tous les cas…

POUR ALLER PLUS LOIN AVEC L’ORDINATEUR:

Le site de la région wallonne est bien informé: CWATUPE CODE WALLON D’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE

http://mrw.wallonie.be/dgatlp/dgatlp/Pages/DGATLP/PagesDG/CWATUP/GEDactualise/GED/gedListeArbo.asp#comm

http://mrw.wallonie.be/DGATLP/DGATLP/pages/DGATLP/Dwnld/CWATUPE.pdf

Sur le plan de secteur:

http://developpement-territorial.wallonie.be/PDS.html

L’asbl INTER ENVIRONNEMENT WALLONIE fait un intéressant travail d’information à destination des CCCATM. Il publie une lettre électronique mensuelle: http://www.iewonline.be/spip.php?rubrique100