Il me revient ce temps, ouvrage fastidieux, qui s’étirait comme une route
infinie dans le désert graveleux des saisons de l’enfance.
Ce temps que l’on tirait mollement comme une gomme et que l’on
remâchait jusqu’à en perdre le goût ; ce temps où, alanguis et offerts sur les
plages de nos adolescences à se regarder cuire à basse température, on
dessinait de sable nos sages idéaux, que la marée d’une vague ramenait à
nos pieds. L’ennui nous dévorait pendant qu’on digérait avec célérité les
livres que nous servaient nos maîtres vaniteux. Que savions-nous alors des
chemins qu’on traçait sans même le vouloir (au carrefour des étoiles, prendre
vers Andromède, mais éviter Pluton, la voûte est saturée) ? On se grimait de
desseins sauvages, on dansait au tam-tam de l’orage, la boue léchait nos
narines, le volcan n’était pas la fin de l’histoire, le volcan et sa langue
magnanime éructait de nos rires, exultait de nos larmes. De pourpre l’on
drapait nos certitudes et nous érigerions des futurs antérieurs qui nous auraient
menés au faîte de nos vies (de ces sommets immaculés où foisonnent les
velléités et autres utopies, l’érosion nous défie). Dans le livre blanc de nos
jeunes années, nous avons gaspillé tant de pages… Aujourd’hui, nos futurs
sont plus simples et nos passés plus composés (nos envies vagabondent et
nos désirs migrent, on nous a rendus sages, on nous dit qu’on est libres). Mais
moi je veux apprendre à marcher sur les eaux, multiplier les pains, et panser
mes gageures. Je veux aller plus loin, briser le sablier, laisser couler la plage,
ensevelir le désert. Je veux, je vis encore, écrire d’autres mirages et tourner
d’autres vies. Je veux, j’y crois encore, cartographier mes songes et tout à
l’intérieur partir à la conquête des rêves inexplorés qui s’agitent. Je veux, j’ai
tout le temps, je marche sur les eaux, j’ai rassasié mes rêves, ils sont
emmaillotés, l’étoile est allumée, le ciel est déplié : j’attends les mages.