Partir, il faut partir, entendaient-ils comme une inexorable marée.
Partir, loin, les contrées inconnues, les terres indomptées les rives inaccessibles.
Partir pour reconstruire un lopin de vie mieux et y planter des rêves.

Ils sont venus deux cent, ils sont venus deux mille, assoiffés de soleil, assoiffés
d’édifier. Ils ont bâti la ville aux mille couleurs. Des façades pastel rouge,
jaune, vert, outremer, à rendre jaloux l’arc-en-ciel !

Ils avaient dans les mains l’or des cannes à sucre pour s’offrir des palaces
meringués. Ils avaient sous leurs ordres des hommes à la peau mate et aux
pieds nus. Une ville en couleurs, des boulevards de palmiers, du soleil sous
leurs orteils, une mer à satiété. Et leurs rêves, leurs rêves en colonies offerts.

Dans les rues ombragées, derrière les façades fastes dorment les
autochtones, dorment leurs rêves évanouis, dissous dans le crépi des palaces
qu’ils regardent de loin en revenant des champs, des champs de canne qui
drainent leur sueur, jusqu’au soir, quand les pieds nus dans le sable, le chant
de leur âme les délivre, quand l’ombre engloutit les couleurs de la ville, toutes
les peaux sont grises, enfin tout se ressemble, rassemble le chant de l’espoir
dans des rythmes endiablés. Le chant de la vie qu’ils grattent sur les cordes
des guitares, tard, il n’est jamais trop tard pour espérer.

Au matin les façades sont délavées. Usées de soleil. Usées de marées. Les
ruelles sont vides, les grilles des palaces grincent, la peinture s’écaille et les
herbes ont roussi. Au matin le chant des marées retentit : partir, il faut partir.
Loin des pastels démodés, du soleil qui assomme et du rhum qui rend fou.
Partir et laisser là les hommes à la peau tannée, aux rêves minimalistes, au
sourire obsédant, au chant de leur vie, à la musique de leur âme. Laisser là
Trinidad à ses chimères froissées. Laisser là leurs affaires, ça n’en valait pas le
coût.

Partir, il faut partir, chantent les enfants des rues, en dansant sur la plage. Mais
ils savent, comme les marées, qu’un jour ils reviendront.