Les choses recèlent, hébergent, contiennent de l'émotion. Elles ont une capacité à émouvoir. Est-ce l'émouvance  ? L'homme méso-logé serait capable / se rendrait capable / d'émotions face aux choses, elles-mêmes hébergeuses d'émouvance. Ce crayon m'attendrit: trois doigts s'en sont saisi fermement pour tracer d'une écriture ample ces mots qui s'assemblent sous la lumière d'une lampe de jour, dans la pénombre apaisée de la chambre d'après-midi, où le corps s'est déposé ventre sur un coussin de grains de blé chauffés. Ainsi paré pour une méditation siestive qui débouche sur ce texte sur le carnet de lit.

La zone de netteté de la pointe est limitée, vers le milieu de la ligne. Les yeux sont inéquipés. Distance focale perçue. C'est le seul ustensile à écrire disponible à la main droite sans déplacer le corps, au chaud sous la couette. Il faudra en provisionner d'autres. Ce serait trop bête !

15h02, dit l'horloge numérique, pour une minute. Les yeux se ferment. Il s'y ressent mieux l'émotion d'écrire le flux, le se laisser émouvoir par. Les choses portent-elles en elles, contiennent-elles une vibration à laquelle nous nous rendons sensibles, si nous le pouvons ?

L'être humain se rend capable de percevoir, porte attention à l'émotion qui naît en lui au contact visuel, tactile, olfactif, auditif & ... gustatif (après quelque réflexion...) des choses. L'émouvance est un potentiel intrinsèque aux choses, disponible à la perception humaine. Ce potentiel est apparemment contenu dans les choses; à nous de le faire voir, toucher, sentir, entendre, goûter, ce potentiel.

Telle chose évoquera une émotion chez l'un, pas chez l'autre. L’émouvance des choses est ce qui nous met en mouvement (emovere = « mettre en mouvement »). Nous y sommes fort/moyennement/peu/pas sensible. Le risque est de ne plus être ému par rien, de ne s'émouvoir de rien. De s'endurcir. S'éloigner du pas rapproche l'être humain de son essence. De l'essentiel. C'est une bienveillance faite à l'humain, cette émouvance que les choses contiendraient et/ou généreraient en nous.

La mésologie pratique une néologie dans des interstices laissés vacants par la langue: mouvance y existe; émouvance, non. Il est une traduction proposée par A. Berque d'un concept japonais.

Il est possible que ce texte n'eut pas pu s'écrire ni ailleurs, ni en d'autre circonstance. L'âme l'a livré, vaquant librement au coeur de sa respiration tranquille...


Source: Augustin Berque, Poétique de la Terre, ch V LA médiance humaine, §23 Le sentiment des choses.


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