Tiens, au fond, je peux faire ça? Vous inviter à abandonner tout pour lire ceci: Les mers perdues.

Aux dessins, le toujours très inspiré François Schuiten et aux textes, un inconnu à mon bataillon (le 3 9 2010, il y a une éternité...), mais c'est bien pour cela que je continue à lire. Jacques Abeille depuis lors devenu un de ces auteurs dont la relecture enrichit la lecture à chaque immersion renouvelée. Dans ce panthéon que nous avons chacune/chacun de tellement personnel, il occupe à rang égal la position primale avec Laurence Sterne. Et la maison d'édition, petite, divergente, comme je les aime: Attila. Les deux premiers, pas des débutants; la troisième, une petite jeune...

Les dessins pré-existants de l'un ont servi d'inspiration à la plume de l'autre, tandis que la troisième les a fait se rencontrer. L'histoire révèle un imaginaire fort et structuré.

Une langue classique, des phrases à la charpente solide évoquant force et confiance en soi. Le texte est dense, écrit à la manière charmeuse des littérateurs d'autrefois, sans esbroufe. Ces Mers perdues ne se lâchent que pour diverses contingences matérielles dont l'outrecuidante nécessité désole mon âme éprise. Le style de l'écrivain est ample, mûr. Il ne s’agit pas seulement d’appariements poétiques, voire inusités, de mots. Il s’agit surtout d’une maîtrise absolue de la syntaxe. Ses phrases impriment un respect, font trace. Leur écho sillonne l'échine du lecteur, de la lectrice, avec une constance magique.

Mon libraire m'a conseillé de le lire également un autre ouvrage : Les jardins statuaires, réédité par le même Attila (première édition originale confidentielle et chahutée dès 1982).
Entre les deux ouvrages, une plume s'est encore affinée. Dans les mers perdues, l'auteur écrit en cours de périple à un "cher ami". L'épistole permet souvent le style indirect; il rend compte de conversations davantage qu'il ne les retranscrit. J'aime. Pour la même raison que j'apprécie les revues qui prennent la peine de publier davantage de textes que d'entretiens.

Cette écriture est si dense et tellement magique qu’elle magnétise le moindre de mes pores. Jacques Abeille a la langue belle et appropriée. Chaque page de la fin des Jardins statuaires fourbit ses pépites. Les Mers éclairent les Jardins. Et vice versa.
Les Cités obscures, chères au dessinateur et à Benoît Peeters, devraient trouver leur pendant dans le Cycle des contrées de Jacques Abeille. Il s'étend sur quatre ouvrages. Pas encore lus, mais ils cheminent vers moi... Ces Mers perdues sont l'oeuvre d'artisans amoureux de leur art. En parallèle les Jardins statuaires auxquels elles sont (les Mers) reliées par plus d'un fil. Je leur consacre une chronique.

Cités, Contrées, autant de lieux où il fait bon laisser libre cours à des imaginaires féconds et nourriciers.
Ces auteurs marquent à mes yeux l'élan de la rentrée littéraire. Merci à Jean-Claude Vantroyen d'avoir octroyé trois étoiles à cet ouvrage dans le supplément rentrée littéraire du Soir (de Bruxelles, comme on dit à Paris).

Voir aussi : Les jardins statuaires.


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