Plan

- Faire de la joie le constat personnel
- Et coucou, qui revoilou !
- Un vocabulaire en écho, un vocabulaire en écho
- Correspondance

- Reformulation à l’aune d’un vécu personnel
- Étienne Souriau
- Ascèse

- Deux hypothèses au croisement d’autres lectures
- Première hypothèse: le conatusde Spinoza=la tendance de Souriau ?
- Définition de l’âme
- Deuxième hypothèse: la plénitude de Spinoza=la plus grande vastitude cosmique de Souriau & le cosmique de Souriau=l’arbre des roues (chakras) du tantra
- La plénitude de ses moyens
- Puisqu’il le faut, concluons !


Faire de la joie le constat personnel
Cette joie instaurée en soi constitue une fondation pour le soi qu’il s’agit

  • d’entretenir en la tenant en soi,
  • d’en alimenter le soi,
  • de positionner le corps sur son chemin de joie,
  • de faire en sorte que les pas ne se perdent pas sur des chemins autres.

Le faire en sorte que les pas ne se perdent pas sur des chemins autres confirme chaque instant dans sa joie. C’est ce « faire en sorte que » qui constitue l’objet de cet essai.
Un constat: la joie fondée instaure le soi.
Une fois que les pas ont suivi un bout de chemin de joie, l’effort à faire pour instaurer son chemin de vie est une prudence, voire une méfiance (le caute de Spinoza !), qui se renouvèle souvent. Cette vigilance aide à maintenir un foyer ardent en soi.


Et coucou, qui revoilou !
Cet effort pourrait éventuellement correspondre au conatus de l’Éthique de B. Spinoza: il peut aussi se traduire par tendance & pulsion, si l’on en croit P. Macherey dans son Introduction à l’Éthique de Spinoza en cinq tomes (V, p. 25, note 1).
Par ailleurs, la lecture abrégée de la IVe partie de l’Éthique que P. Macherey en fait, en particulier les prop. 20 à 27, offre un saisissant parcours avant-coureur à celui d’É. Souriau, que je présente à droite dans le tableau.

C’est en effet l’écho de leurs mots qui a éveillé mon attention.


Un vocabulaire en écho

Spinoza

Éthique IV, telle que P. Macherey la résume
dans son vol. IV prop. 20 à 27 de l’Introduction à l’Éthique
de Spinoza
, 1997, p. 435.

Souriau

tel que D. Debaise et A. Wiame en rendent compte
dans leur article, « Les âmes du monde »,
qui constitue un chapitre d’un ouvrage Intitulé
É. Souriau, une ontologie de l’instauration, paru chez
Vrin en 2015 sous la direction de F. Courtois-Lheureux
et A. Wiame.

« Proposition 20 (scolie), 21, et 22 (corollaire):
La vertu est indissociable de l’intérêt vital qui pousse
chacun à réaliser sa puissance au maximum;
c'est le  conatus qui donne son fondement à la morale,
celle-ci ayant pour objectif la béatitude,
au sens du bien-être et du bien-vivre.
La « mission » qu’ É. Souriau assigne à n’importe
quel être consiste à rejoindre sa plus grande
vastitude cosmique possible aux fins de se réaliser
en atteignant son maximum d’expansion.
Il considère cette mission comme une obligation
morale.
À maximum, je lui substituerais volontiers le terme
d’optimum d’expansion. Il s’agit donc de rejoindre
la plus grande vastitude cosmique possible
aux fins de se réaliser en atteignant
sa puissance optimale au moyen d'une

expansion cosmique optimale.
C’est une obligation morale
envers soi.
Propositions 23 et 24: Toutefois, agir absolument par vertu
nécessite que nous sachions avec certitude ce qui nous
est effectivement utile, donc que nous agissions sous la
conduite de la raison en maîtrisant nos impulsions.
Il s’agit d’amener l’âme à son point de perfection qui
fait loi pour elle.
Proposition 25: Chacun agit toujours en fonction de ce
qu'il reconnaît comme étant utile pour soi-même,
que ce soit ou non en connaissance de cause.
Si cette vastitude, cette amplitude tendant vers
l’infiniment grand n’est pas conquise, c’est alors
« une moindre existence » qui se profile
ainsi qu’une « déficience morale ». É. Souriau
nomme fêlure, voire même brisure cette non-conquête.
Il les considère peut-être même comme des défaites.
Propositions 26, 27 et 28: L'âme, en tant que réalité
mentale, est animée par un fondamental désir qui définit
sa puissance propre et constitue sa vertu véritable;
celui-ci la pousse à connaître adéquatement un maximum
de choses; en ce sens, ce qui donne à tous ses efforts
leur  but final et lui procure la plus haute béatitude à
laquelle elle puisse prétendre, c'est de comprendre
toutes choses absolument, c'est-à-dire de connaître Dieu. »
« il nous faut une ascèse pour avoir une âme. »
La question morale devient alors, dès lors, « la
dynamique centrale de l’existence. »

 Pour reprendre une habitude prise sur Nulle Part de remplacer Dieu par la nature (ce avec quoi P. Macherey n’agrée pas), la dernière proposition de la dernière phrase (colonne Spinoza) se lira donc, reformulée: «  ce qui donne à tous [les] efforts [de l’âme] leur but final et lui procure la plus haute béatitude à laquelle elle puisse prétendre, c’est de comprendre toutes choses absolument c’est-à-dire de connaître la nature ».


Correspondance

Soudain, un parallélisme saisissant apparaît entre Spinoza (XVIIe) et Souriau (XXe), en ce qui concerne le vocabulaire et probablement aussi les concepts qu’il porte.
Il semble, au moins ici, qu’É. Souriau puisse se situer dans le droit fil de Spinoza. Leur vocabulaire semble emprunter des voies similaires. On retrouve dans les mots surlignés de gras dans l’abrégé spinozien ci-dessus. Les auteurs de l’article lu sont silencieux sur l’appariement effectué ici. Là où Spinoza voit désir et vertu comme résultant des efforts consentis, Souriau y décèle une obligation morale & une ascèse. Souriau fait de la question morale la dynamique centrale de l’existence tandis que Spinoza considère, prend en compte la plus haute béatitude qui consiste à comprendre absolument la nature. Le plus vaste des deux reste Spinoza… celui dont l’amplitude de réflexion encadre davantage la vie. Methinks, en tout cas.


Reformulation à l’aune d’un vécu personnel
Une fois que des pas ont emmené un corps sur un chemin de joie, le corps TEND À en faire son chemin de vie. Cela n’empêche pas les « sorties de route », ce que É. Souriau (j‘y reviens) nomme fêlure, voire même brisure.
Il est réconfortant d’avoir appris

➢ à n’être pas déçu.e par ses propres fêlures, par d’anciennes brisures intimes, pourtant cicatrisées;
➢ à faire avec ces craquèlements du soi;
➢ à en tenir compte & à guider à nouveau ses pas vers ce chemin de joie où leur pulsion vitale les ramènera tôt ou tard, pour autant que cette tendance persiste à suivre le chemin de plus grande joie.

Chacun.e son chemin, jamais deux chemins identiques, des croisements peut-être – des rencontres heureuses alors – des voies parallèles parfois. & chaque chemin, ses sinuosités, ses à-pics, ses pentes raides… parfois des faux-plats...

Cette tendance tient

➢ à l’effort, qui soutient ce désir, si bien mis en valeur par Spinoza, de se maintenir le plus continûment possible sur son chemin de joie;
➢ à la vigilance qui demeure au plus près de sa joie intrinsèque;
➢ à l’obligation qu’en fait É. Souriau à tout être, que tout être se doit d’instaurer pour soi.

Tout concourt dans ces circonstances qui ne dépendent en rien du hasard mais tiennent à une « boussole » de qualité dont le Nord est le désir de joie, tout concourt donc à faire de la joie la pulsion première, voire unique, de l’âme en tout corps qui s’y alimente, qui s’en nourrit à chaque instant.



Étienne Souriau
En me connectant sur le réseau academia.edu, j’ai effectué une recherche sur plusieurs noms de membres actuels du groupe d’études constructivistes de l’ULB. J’y rencontre un article co-écrit par D. Debaise et A. Wiame intitulé: « Les âmes du monde » qui constitue un chapitre d’un ouvrage Intitulé É. Souriau, une ontologie de l’instauration, paru chez Vrin en 2015. J'ai trouvé l'expression âmes du monde créative et ai souhaité en savoir davantage.

 L’article intitulé « Les âmes du monde » (2015) concerne un ouvrage datant de 1938 écrit par É. Souriau intitulé, lui : Avoir une âme, essai sur les existences virtuelles.
Le plan de leur article est le suivant :

1. Possession & charge d’âme
2. Un maniérisme spirituel
3. La dramatisation des âmes
4. Faire parler les âmes : d’autres mondes
5. Les âmes non-humaines


La « mission » qu’É. Souriau assigne à n’importe quel être consiste à rejoindre sa plus grande vastitude cosmique possible aux fins de se réaliser en atteignant son maximum d’expansion. Il considère cette mission comme une obligation morale.
Reformulation: Il s’agit pour n’importe quel être de rejoindre sa plus grande vastitude cosmique afin de se réaliser en atteignant son maximum d’expansion. Au maximum, de Souriau, je lui ai substitué l’expression « expansion optimale ». J’entends par là le rayonnement qu’une vie acquiert en « rejoignant sa plus grande vastitude cosmique » possible.
Si cette vastitude, cette amplitude de dimension cosmique, tendant vers l’infiniment grand, n’est pas conquise, c’est alors « une moindre existence » qui se profile ainsi qu’une « déficience morale ».
La question morale devient dès lors, « la dynamique centrale de l’existence. »
Cela me frappe comme tout cela semble aller de soi dans mon univers propre qui ne sait rien de celui d’ É. Souriau. Pourtant, je verrais davantage le désir de joie comme « dynamique centrale de [mon] existence ». Sans ce désir de joie, à quoi bon la rigueur morale ? La rigueur sans la joie, à quoi bon la morale ?


Ascèse

L’auteur affirme que « il nous faut une ascèse pour avoir une âme ».
À nouveau, j’en tombe d’accord: l’acquisition d’une âme puis sa conservation attentive relèvent de l’ascèse. Ma filiation familiale de ce que j’ai pris l'habitude de nommer jansénisme laïque ne porte pas sur autre chose…, combinant à la fois rigueur pascalienne & un univers sans dieu.
Le Trésor de la langue française définit ascèse de la sorte : « MORALE. Discipline que la volonté s'impose afin de tendre vers un idéal soit de perfection morale, soit de création artistique ou intellectuelle. » Poursuivre un idéal de perfection a fait l’objet d’une fidélité instanciée; j’y ai ajouté la joie souvent sereine.


 Deux hypothèses aux croisements d’autres lectures
Première hypothèse: Le conatus de Spinoza=la tendance de Souriau ?
Dans l’univers d’É. Souriau, il me semble que l’on nage en plein dans le conatus de Spinoza, dont P. Macherey (philosophe, un des nombreux spécialistes de Spinoza) propose trois traductions : effort, tendance, pulsion.
L’âme, pour É. Souriau, il s’agit de l’amener « à son point de perfection qui fait loi pour elle. » Il s’interroge aussi sur la manière de faire pour posséder
« toutes nos richesses virtuelles ».
Et c’est peut-être sur le chemin de joie, esquissé à l’entame de cet essai, que s’instaure l’âme dont É. Souriau nous entretient.


Définition de l’âme
Pour É. Souriau, l’âme est l’espace relationnel qui relie virtuellement l’ensemble de ses pensées, comportements, tendances; ce mot, tendance, est un point de contact possible entre Spinoza & Souriau puisqu'il constitue l’une des trois traductions du conatus de Spinoza proposées par Macherey !

L’âme pour Souriau

➢ forme une existence virtuelle,
➢ est présente dans chaque acte,
➢ est présente en position de survol,
➢ excède toujours les actes particuliers qui l’accomplissent,
➢ est inséparable d’une trajectoire instaurative.

Se pourrait-il que cette trajectoire instaurative corresponde au chemin de joie ?
Les actes de constitution de l’âme tiennent pour Souriau aux choix, aux hésitations, aux bifurcations. Ces actes (de constitution de l’âme) entraînent tous les autres (actes) le long d’une chaîne historique.
L’histoire de ces (autres) actes

➢ est marquée par des attentes, des déceptions, des renoncements ou par des reprises,
➢ & constitue la véritable substantialité que nous visons lorsque nous nous adressons à l’âme de l’autre.


Deuxième hypothèse: la plénitude de Spinoza=la plus grande vastitude cosmique de Souriau & le cosmique de Souriau=l’arbre des roues (chakras) du tantra.
Là où Souriau semble souligner une incomplétude, A. Berque, en quatrième de couverture de son ouvrage intitulé Poétique de la Terre affirme: « Dépasser les impasses de la modernité ne se fera pas sans l’appoint logique et philosophique à la fois des grandes civilisations de l’Asie. » En grand spécialiste du Japon, c’est de ce côté qu’A. Berque va chercher de quoi surmonter philosophiquement et logiquement les impasses de la modernité occidentale.
Nulle Part, lieu de reformulations, cherche davantage à formuler l’hypothèse d’une ouverture vers le tantrisme shivaïste du Cachemire, tel que L. Silburn l’a analysé en détail dans son ouvrage La Kundalinî.
Face aux « âmes inachevées, virtuelles, en attente – quémandeuses, même » de Souriau, « nous ne trouverons jamais l’idée d’une responsabilité ou d’une intentionnalité d’une âme en plénitude de ses moyens… Non seulement Souriau ne voit dans ces expressions que les illusions rétrospectives que nous nous racontons après coup, lorsque tout a déjà eu lieu... »
Tel est le constat des deux auteurs de l’article, D. Debaise et A. Wiame.
La méditation et le massage « sérieux » selon les rituels du tantrisme (tels qu’ils ont été conservés et traduits par L. Silburn) permettent parfois d’atteindre la plénitude de ses moyens.
Le méditant/la méditante n’a pas l’impression d’être victime « d’illusions rétrospectives » lorsqu’il/elle s’équilibre intérieurement en étant le vecteur de
l’énergie cosmique à travers ses chakras (ces revolving doors récemment prises comme métaphore sur Nulle Part pour évoquer les roues situées sur
l’axe central du corps.) La plénitude n’est jamais loin… fut-elle temporaire, comme l'est la vie même.


Puisqu’il le faut, concluons   !
Souriau, sous la plume de nos deux auteurs contemporains (D. Debaise & A. Wiame), semble formuler correctement, et de manière novatrice, l’incomplétude contemporaine.
Élargir un espace de réflexion personnel par rapprochements, en soulignant d’éventuelles ressemblances, des apports que certains philosophes se font les uns aux autres, comme à leur insu, par-dessus les siècles d’une part: Spinoza et Souriau, même effort et par-dessus les continents (France pour Souriau et Cachemire pour le tantrisme).
Penser en réseaux, par rapprochements, peut parfois être fructueux.
L’âme fait l’objet de toutes les attentions à la fois de Spinoza et de Souriau tandis qu’en constatant l’unité qu’elle forme avec les corps (cette unité sur NP se nomme souvent le corps-conscience), Souriau & le tantrisme se découvrent l’un l’autre, l’un pose correctement l’énigme et semble (à partir du très peu que j’en ai lu indirectement) y égarer son âme tandis que le second résout l'énigme, si l’on en croit la lecture qu’en offre L. Silburn.

L’âme constitue le sujet de cet essai Nulle-Partien. Le terme est peu employé ici: esprit lui est préféré. Il semble moins connoté religieusement.
Un usage apparemment non religieux se révèle pris en considération comme objet de toutes les attentions d’É. Souriau, qui, lui-même, sert de balise à un parcours philosophique autour d’I. Stengers et de son équipe qui prend en considération A. N. Whitehead comme possible délivreur de quelques clés supplémentaires pour lire le monde.
Lire le monde, en offrir une interprétation, what else comme objet philosophique ?