P 18
« Il musela en lui le silence, une écoute,
scruta le ciel masqué,
y trouva ce répit qui détrompe l'attente.
Il ne s'estimait pas nanti d'une mission
ni d'une vocation de porteur de parole.
Tout le prédisposait à s'affranchir du risque
de briser le miroir et de réintégrer
l'anonymat des êtres qui, murés par confort,
ne se regardent plus.

P36 
Sans le moindre signal, il perçut l’indicible
et se sentit bancal pareil aux proies coincées
entre l’arc et la cible.

Perclus de peurs anciennes collées  
comme sangsues aux flancs des habitudes,  
il sut de prime abord qu’au-delà des échecs,
des fougues boréales,
son fou noir circulait dans sa diagonale.

52 
Expurgé des moiteurs, du fol rut des saisons,  
et des apprêts du cœur,
il présumait qu’à force de se chercher,
il trouverait les autres,
que par sa volonté, il pouvait, pied à pied,
nourrir, de pôle en pôle des songes d’échassier.

54-55  Presque aussitôt, tel un plan de vitrail,  
il repéra ainsi sur le blanc-seing des cimes,  
des chamarrures d’yeux de hiboux en pagaille.
pareille à ces oiseaux que le pain encanaille.

Un silence se fit qui le déconcerta par sa soudaineté  
mais prompt à la parade, il en saisit le signe.

Il laissa à la traîne son hier, ses phalènes  
et ses indécisions.

Il avait, sans faufil, débrouillé l’écheveau  
comme les loups de mer démêlent leurs filets  
confiés aux flux, reflux des nuits d’encre ou de brume.

Il comprit qu’à l’ascèse et ses raideurs de vie,  
il préférait la braise, la lave souterraine  
qui rampe puis jaillit pour parfaire l’auréole  
sitôt le jour trahi.

57-58 
Conscient d’avoir en lui  
franchi des fleuves à gué, cintré des préjugés,
il distendait ses fils
à cent lieues des épeires et de la déraison. […]

Il dédouana la Lune,  
diapra le serpent réduit à une empreinte
et, le cœur et l’esprit revivifiés,
il fit cinq pas devant et s’immobilisa.

Il venait sur-le-champ de quitter sans contraintes  
le sas du labyrinthe.


62-63
Il n’avait pas changé d’image  
mais son visage, à l’évidence, rayonnait.
La vie battait en lui comme elle bat, là-haut,  
sous l’aile de l’oiseau.

Il s’estima même, au terme du voyage,  
de mourir et renaître, d’être enfin, à la fois,  
l’apprenti et le maître.

Alors, ce fut brutal.

Il me quitta d’un trait  
comme si un alchimiste l’avait dans son creuset  
affranchi de lui-même.

Hors du miroir de l’autre, des foules sans visage,  
je me regardai naître et pus me reconnaître  
sans le moindre reflet

Je m’étais cru désert et j’étais habité. »

Pierre Coran sur Les chemins de Janus approche,
touche même, à cœur d’homme.
Il entreprend un voyage solitaire,
tel un marcheur d’autre temps,
et scande sur ce chemin bicéphale
les métamorphoses du serpent.

Certains Hommes, en cherchant leur propre voie, trouvent un ton qu’ils habillent d’essentiel. Pierre Coran est de ceux-là.
Chacun-e- parcourt un sien différent chemin, je note pourtant des constantes imagées avec mon propre écartement: le serpent, la lave, le silence, l’attente, l’indicible, le vitrail, l’ombre, la nuit, la brume, l’ascèse et l’habitat en soi. Yaurait-il un vocabulaire commun aux sois ?

Le site de l’éditeur comporte plusieurs commentaires publiés sur l’ouvrage. J’extrais:
« Janus: dieu des commencements et des fins, des choix, des clés et des portes, il a le privilège d'être invoqué avant toutes les autres divinités. En tant que dieu introducteur il  est avec Portunus, un  « dieu des portes » qui préside à l'ouverture de l'année et à la saison de la guerre (les portes de  son temple étaient fermées quand Rome était en paix). Janus donc, frère de Pierre, sur le chemin des compagnons ! Le temps d'un livre, il conforte le poète dans sa quête de « sagesse » et de « beauté ».  Michel Joiret, Le Non-Dit.