Couloirs ouverts aux courants d’air, couloirs glacés de l'entrée, vestibule de l'attente. C’est là que le médecin ôte son manteau, que le facteur n’entre pas, que le laitier ne paraît plus. L’orgueil des disparus est accroché au mur ; portraits au regard dur, à la posture savante ; il faut savoir se tenir, pour la photographie comme pour la piqûre dernière, il faut savoir étendre la colonne et agrandir l'iris, la lèvre supérieure à peine retroussée, pour l'esquisse d'un sourire, le long de l'escalier. Couloirs empoussiérés, étages qui indiffèrent, maison de la vieillesse, des jambes dépéries. Couloirs abandonnés, dédales de dentelle, sanctuaires aux fleurs séchées qui frémissent, quand tremble une ombre frêle sur le papier corné.

Parquet lustré des couloirs emphatiques, qui dans  les nœuds du bois disent les entrelacs des vies, les secrets des chambres qu’ils unissent, les rêves ancillaires. Couloirs dont le pouls vacille, aux jonctions rompues de fatigue, à force de contraindre ensemble, tant de murs dissidents. Raccourcis moqueurs qui mènent d’un coffre-fort à l’autre, du ventre de la cuisine au dos rond du salon, à l’échine de la chambre.

Couloirs d’où les enfants guettent car ils en sont les rois. Eux seuls savent les dessins coulés dans l’encre du carrelage : la gueule de cochon, de profil, l’oreille repliée, la sorcière,  la bague déformée, le sabre minuscule, et puis le sablier. Les enfants anoblis s’appuient aux chambranles des portes pour d’abord écouter, plus tard y accoler une épaule dédaigneuse, et enfin, à l’heure du grand naufrage, ils voudraient s’y sceller, prêts à conclure un pacte de misère avec la maison.

Pourtant il y a eu, des pieds et poings liés, et parfois des baisers, au seuil, à la fenêtre : l’œil-de-bœuf absolu, au faîte de la maison, dans ce couloir élevé, celui qui fricote avec la mansarde, celui de tapis-plain, où coururent des pieds nus, meurtris par les punaises, celui où des sabots, attendent devant la chambre, en fantômes du deuil, ce couloir tout là-haut, où crépite la lumière, où l'été il fait chaud, où les plantes luxuriantes, trônent en cache-pots dorés.

Bien après l’évasion, il reste encore des barques, des barques de sentiments bloquées dans la baraque, dans ces couloirs trop grands, qui deviennent les lits de rivières sépulcrales. Étreintes arrachées, doigts serrés aux épaules, allez, viens, embrasse ta mère, et ton père le dos courbe, sous le fagot du temps, tu ne le vois même pas, tu fais feu, flèche, de tout bois, toi, dans ce couloir étroit, tu touches les fesses d'une fille, d'une main fugace et agile qui  plaisante, puis, tu abordes la porte, et au dernier moment peut-être, celui des yeux mouillés, le couloir rougit, et tout cela s'évapore, ton lundi se dessine, il faut reprendre le train, dans cette vie hostile, aux couloirs de chagrin.

CB - 22 mai 2013


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