2e
RECONCRÉTISER
 VI Croître
 ensemble
 26 Concret, concrétude,
 concrescence
     27 Les lieux, les choses,
 les mots
     28 Milieu nippon,
 discours et haïku
     29 La co-suscitation
 des choses


Le chapitre VI va s’atteler à « reconcrétiser les choses que le dualisme a décomposées en objets ». Il nous propose de croître ensemble.

§26 Concret, concrétude,  concrescence

Les concepts nécessaires « à construire une épistémologie des choses concrètes » sont par exemple médiance et trajection. « L’abstraction discrétise, sépare en unités discrètes, numérisables, ce qui était le flux continu de la réalité. » 121
« L’abstraction va de pair avec l’arrêt sur objet. » 121 (§14)
épistémologie  [epistemɔlɔʒi]  n. f.  ÉTYM.Av. 1906,  in  Larousse  illustré,  Suppl.; 1856  en  angl.,  epistemology, mot  créé  par  le  philosophe  écossais  James F. Ferrier,  Institutes  of  metaphysic; grec  epistêmê « science »,  et  -logie, de logos« étude ».
1   (Sens étroit). Philos. Étude critique des sciences, destinée à déterminer leur origine  logique,  leur  valeur  et  leur  portée.  Épistémologie  philosophique  ou philosophie  des  sciences. — Spécialt.  Étude  des  théories  scientifiques, indépendamment de la méthodologie.
2   (Sens large, incluant le précédent). Théorie de la connaissance et de sa validité; « étude de la constitution des connaissances valables » (Piaget).

Non contente de discrétiser, l’abstraction déconcrétise. Concret < cum-crescere croître ensemble, Cum=du lien ; crescre= du devenir
La concrescence est une mouvance.
La concrescence incarne la trajectivité du rapport entre genesis et chôra, entre l’existant et son milieu.

À l’inverse, la discrétisation incarne le triomphe, dans les objets individuels,
- du topos et du principe d’identité,
- du dualisme sujet / objet.
« Le TOM est l’adversaire acharné de la concrescence. » Donc, la concrescence trouve sa source dans Platon tandis que la discrétisation trouve la sienne dans Aristote. Comment fait le TOM pour s’acharner contre La concrescence, pour s’y opposer de toutes ses forces ?
Coalescence, définition Cum avec, Ali se nourrir donc nourriture mutuelle
Sur les PRISES, voir écoumène ch VI.
Les prises que nous avons sur les choses et celles que les choses nous offrent. Les prises s’agrègent [au final] en contrées.

La découvrance de soi, pleinement humain, concrètement chargé d’affects, d’habitudes & finalement capable de s’abstraire en un COGITO.
Le SOI, qui est en entente propre avec son milieu, est plus vaste, plus profond que le MOI. Le SOI est en entente propre avec son milieu; cela le rend plus vaste et plus profond que le MOI. Ce qui différencie le SOI du MOI tient donc au milieu avec lequel le premier se senten bonne entente tandis que le second n’en a pas.
Un exemple personnel: quand cette jeunette s’emballe dans ses bras, c’est parce que le matin elle a enfilé une vêture modieuse mais trop fine pour le temps qu’il fait ce jour-là. Elle privilégie le moi qu’elle met en scène plutôt que le soi qui serait mieux couvert. Elle n’a que ses bras pour conserver une toute petite chaleur, dont l’insuffisance la fait frissonner.

A. Berque cite plusieurs exemples; je retiens celui de l’habitation qui abrite le corps animal des intempéries et loge sa médiance, et loge la médiance du corps animal.
« Le pavillon du banlieusard le fait exister plus encore qu’il ne le loge; et c’est bien pourquoi il reste sourd aux objurgations des lettrés, qui lui ressassent depuis belle lurette que cet habitat est insoutenable. » 124 (voir l’ouvrage La ville insoutenable).

Associer un travail de mémorisation du plan d’un discours par exemple, comme les quatre éléments de cette conférence marquante que j’ai faite dans le domaine documentaire.
= consolider l’apprentissage
= le cerveau fonctionne mieux en situation concrète; l’aller-avec, le plan va avec les quatre éléments.

§27 Les lieux, les choses, les mots

Les mots croissent avec les choses dans des lieux. Le sens naît de l’histoire des choses, dans la concrescence des substances et des signes, dans la trajection des sujets et des prédicats.
« La mésologie prend […] parti naturellement pour Bourdieu lorsque celui-ci reproche à Saussure d’avoir fétichisé la langue en l’abstrayant des conditions sociales de son énonciation. » 129
« Saussure a discrétisé la langue, le discours, en ne retenant que la langue comme objet de la linguistique. » 129
& AB pousse Derrida dans la même catégorie des discrétisateurs pour avoir abstrait la chôra.
La langue va avec les signes pour transmettre du sens qui est devenu biosémiotique puis langage humaine, en parallèle avec l’hominisation.
≠  Le TOM conçoit le sens des mots comme une simple projection de la souveraineté humaine sur les choses, c’est une expression du dualisme moderne.

Quand un langage naît, « c’est une trajection supplémentaire, & donc cumulative, de la sémiosphère inhérente à la vie comme l’a montré la biosémiotique » 129
Hoffmeyer (Signs of meaning) fait une liste non exhaustive des formes de communication qu’il identifie à des signes de vie:

Sons
Odeurs
Mouvements
Couleurs
Formes
Champs électriques
Radiations thermiques
Ondes de toute espèce
Signaux chimiques
Toucher etc.

Il m’intéresserait que la liste fût exhaustive.

La sémiosphère est une sphère parmi d’autres: atmosphère / hydrosphère / biosphère
Ce sont les quatre sphères qui entourent le vivant. Et la sémiosphère est au cœur des organes de perception.

Dans la sémiosphère, les signes font sens (≠information). C’est la vie qui établit le va-et-vient entre les signes P & les substances S pour en faire concrètement des choses (S/P). Les signes transmettent du sens grâce à ce couplage, cet appariement, cet agraphage, cet aller-avec dit A. Berque, page 130. & progressivement « l’évolution & l’histoire ont ... transformé la biosémiotique en langage humain, de pair avec/en même temps que l’hominisation. » Les signes sont progressivement devenus des mots « consubstantiels aux choses ».
Nul créationnisme, nulle apparition subite de langage ex nihilo. Les mots « sont des prises de notre existence avecnotre milieu. » (130)
Berque critique C. Levi-Strauss qui parle de « passage » dont l’anthropologie se défausse. Qu’elle « doive rester coite devant ce qui est le propre de l’homme…, voilà qui est curieux. C. LS s’en remet à la biologie & à la psychologie pour trouver une description dans le passage.
Un bémol perso: Uexküll est reconnu pour être l’initiateur de la biosémiotique. C’est bien par la biologie entre autres qu’une explication du passage a eu lieu, non ? Quant à la psychologie, bien sûr le temps est fort lointain où elle sera une science…
AB continue en se disant non*** partisan du « postulat tacite d’un contrat entre sujets, individuels désincarnés…, confits dans* leur TOM, & décidant un beau jour, abstraitement, que tel objet se nommerait comme ci, tel autre comme ça. Contrat tombé du ciel (l’éternel en moins) alors qu’en fait le sens est monté de la Terre, en quelque quatre milliards d’années, dans la contingence de l’évolution et de l’histoire. Par trajection. Non par projection ! » 130


J’ai le sentiment que c’est le passage de l’ouvrage le plus poétique, càd celui qui éprouvera le plus de difficulté à se faire admettre par des scientifiques de stricte obédience. Et que justement dans ce passage nous entretienne de la Terre ne manquera pas d’évoquer le titre même de l’ouvrage en lecture analytique ici même.
Deux expressions attirent l’attention:
1.  « en fait »: quels sont les faits de cet « en fait » ? L’étymologie ? Le processus de première nommaison paraît obscur, même si l’étymologie rend souvent bien compte de la filiation subséquente d’une langue à l’autre, d’un territoire à l’autre. L’affleurement de la première nommaison reste nimbé de ce flou dont le passé lointain emballe les faits.
2.  « Le sens est monté de la Terre »: c’est une jolie image. Une métaphore ? J’y vois une brume matinale qui se cristalliserait autour d’une chose et qu’un homme passant par là lirait/interpréterait comme « Oh mais cela s’appelle comme ça ! ». Un chouia trop poétique, non, comme explication ? Non ?
Mettre l’écrit à l’exégèse** est un processus exigeant, qui se doit d’être sourcé et précis, prudent donc. L’exigence tient à la fois de la source, de la phrase exactement comprise et citée, puis de la précision de l’enchaînement proposé à l’exégèse, le tout emballé dans une prudence matoise…
Je ne trouve pas « confits dans » neutre vis-à-vis de LS. A. Berque semble le mettre dans le même sac que les créationnistes, concédant toutefois que LS ne croit pas en dieu.
C’est au prix de cette double sécurité (sourçage et précision) que l’exégèse a une chance de se frayer un chemin jusqu’au sens qu’elle souhaite prendre.


* confits dans/confidents ? C'était trop tentant... confit ÉTYM.1226; « préparer », 1175; du lat. conficere«  préparer». / Confident ÉTYM.Av. 1630; confidens« suivants d'un chevalier », 1555; confedens« confiant », v. 1450; ital confidente,du lat. confidens«  confiant». Confits dans, préparés dans la confiance… dans la suite du chevalier…
** exégèse  [ɛgzeʒɛz]  n. f.  ÉTYM.1705;  grec  exêgêsis « explication  »,  de exêgeisthai « guider; exposer », de ex- intensif, et hêgeisthai « conduire ».
*** Correction du 23 11 15, après relecture plus attentive ! Pardon pour ce contresens qui a persisté une dizaine de jours.


§28 Milieu nippon, discours et haïku

Simplement projeter la « souveraineté humaine sur les choses » que l’homme duel abstrait en objets, c’est affirmer la toute puissance du JE par rapport aux circonstances concrètes de l’énonciation (chI).
Benvéniste « a reconcrétisé la linguistique en montrant que la langue ne peut pas être d’abord un discours émis par un sujet dans certaines circonstances. » 131
« Jakobson parlera des ‘embrayeurs’ (tels je, demain, ici) qui rattachent ce discours à l’existence concrète du locuteur. » 131 « Par rapport au français, le japonais est une langue hautement concrète. » j’ai un sentiment analogue de l’anglais, plus concret que le français, s’abstrayant moins dans l’abstraction…
Certaines langues ont une « disposition linguistiquement (naturelle-jm) à la concrétude. » D’autre moins.

Tradition gréco-latine  Tradition japonaise 
 1 le verbal est
prolixe
 1 Le verbal est
peu exalté
 2 la syntaxe porte
davantage sur le
verbal.
 2 Comportement,
circonstances, milieu
sont normés.
 3 l’extra-verbal
moins de règles
propres communes
(ce savoir-vivre
est d’abord un
savoir… qui se
perd !)
 3 L’extra-verbal se règle
par une syntaxe extra-
linguistique propre.
Exemples: art des fleurs,
arts martiaux, tel le karate.
Ce sont des KATA,
« des formes collectives
canalis[a]nt des façons
d’agir individuelles. » 136
Ces KATA sont des
matrices temporelles
(suite de
gestes en karate)
& spatiales (topologies
entre éléments dans
l’art des fleurs). 136
Ces matrices font
empreintes sur
les individus.
Topologie: Rapport
des lieux entre eux,
suppose donc la
chorésie.
Chorésie: Dimension du
pareil et de la référence;
décomposion de la
réalité topique et
recomposition de
ses éléments dans
des systèmes de
significattion permettant
de communiquer,
càd de représenter
partiellement la réalité
ailleurs qu'en son lieu
de présence;
appareillage du topique
à l'ailleurs, en systèmes
de référence, donc de
communication;
extension d'un tel
système dans un espace
abstrait ou dans une
étendue concrète.
 4 le milieu va-t-il
de soi ?
 4 Le milieu va de soi.
 5 L’explicite est
nécessaire.
 5 L’implicite suffit.
 6 TOM du POMC  6 médiance nippone.
Nishida saisit cette
concrescence dans la
« logique du lieu »

 

Ce souci de faire concret, le japonais l’élabore, le développe, l’actalise au cours de son histoire avec des « mots-oreillers », « mots ou expression figés… indissociables » du mot qu’ils coiffent. Peuvent avoir évolué en TOPONYMES porte-poèmes … certains lieux renommés évoquant instantanément quelque chose, tel fait, tel sentiment. » 132. « La fonction toponymique (l’identification géographique d’un lieu) en vient même à disparaître devant la fonction évocatoire… [qui suscite] un sentiment parréférence à quelque précédent historique ou littéraire [.] » « Ces lieux re-nommés … deviennent le sentiment du lecteur lui-même. » Ce phénomène est une trajection. 132

Les saisonniers sont des dictionnaires contenant plusieurs milliers de mots de saisons. Ils sont définis en quelques lignes. Le haïku = coutume vivante, intègre la modernité, la nouveauté. Un mésonome = code de la médiance.

Médiance (venant de medietas moitié) a été créé en japonais par Watsuji (fudosei) pour dire cette adéquation réciproque. Les deux moitiés de l’être humain sont l’individu et son milieu. Il définit la médiance comme le moment structurel de l’existence humaine. Ce moment est dynamique comme le moment de deux forces.
[en mécanique] Partie de la biologie qui traite des milieux humains. La mésologie établit une relation causale entre le milieu (essentiellement physique) et les comportements humains. La mésologie considère que la réalité de tout milieu résulte d'une chaine trajective*.
Théorie des milieux; synonyme de géographie.

Platon Aristote  A. Berque
Chôra  Topos  
*Chôranyme  Toponyme  Mésonome
 (le seul
 attesté 135)

 *mésonyme
*Chôranymie  Toponymie  *mésonomie
 *mésonymie
Pour les milieux  Pour les lieux  Pour les mi-lieux

 

 $29 La co-suscitation  des choses

La cosuscitation est une transformation réciproque « dans une relation bijective que la mésologie nomme trajection. » 1

Harmonies concrètes
Ni hasard ni nécessité que ce soleil sur la gare le matin même où j'allais relire la page 139 de Poétique de la Terre où le fait que le soleil se lève à l'horizon de la Terre est un exemple concret de trajection qui, dans l'écoumène, institue

« S  en tant que P
une étoile  en tant que  le soleil. »
S / P

La nature est l'agent qui applique cette trajection.

Ni hasard ni nécessité donc, mais une contingence « à commencer par le fait que je sois là, moi, » [avec mon appareil photo ! note JM], « qui pourrais être ailleurs, ou ici mais à un autre moment. » PT, 139

- C'est fou, ça ! dirait un crédule en mal de gourou (ce que je ne suis pas !): il est omniscient, cet Augustin Berque.
Comment savait-il que le soleil se livrerait à une telle mise en beauté d'une gare liégeoise le jour où je relirais ce passage ? Hosanah ! Alleliuia ! C'est un mystère. Adorons-en le dieu... dirait ce crédule !

Les éoliennes brassent le brouillard ce matin...

Les crédules brassent du brouillard !

Restons bien évidemment méso-logiques. Et il me plaît suprêmement que les causes soient « nulle part2, puisque partout à la fois... C'est dire que ce ne sont pas des causes ! Dans cette concrète harmonie, qui n'est autre que la réalité, chaque chose est plutôt la condition des autres, et toutes se répondent à la fois. Elles se co-suscitent. » PT, 140

Et que Nulle Part soit une des nombreuses branches du syllemme qui unit à la fois « nulle part » et « partout à la fois » m'esbaudit au delà de toute joie dicible.

Il s'est d'ailleurs brièvement médité là-dessus. Quelques inspirs profonds dégagent les voies respiratoires. Et pour le coup, ces concepts mis si bellement en lumière par la contingence de ce matin-là se comprennent (un peu) mieux.


Les mots surlignés de jaune sont décodés dans le lexique mésologique. Qu'une neuve philosophie pour le 21e siècle nécessite un tel appareil néologique est une probable limite à sa diffusion. D'où mes essais nombreux de clarification ailleurs sur Nulle Part. Photos prises entre 8h56 et 9h le 27 11 15.

1 Augustin BERQUE, La perception du milieu nippon au prisme du haïku, La Maison de la poésie de Nantes, Poésies et écologies, 28 novembre 2015.

2 Je ne pouvais évidemment pas passer sous silence cette occurrence ontologique à ce site...


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