Plan de cette note à caractère terminologique:

- Une incursion terminologique

- Une certaine consécration mésologique

- Sortir de l'anthropocène par le haut


Une incursion terminologique

En février 2017, une suite de trois articles a été publiée sur le site The Conversation France. L'un des auteurs est géologue, l'autre préside  la Commission internationale de stratigraphie. Les titres résument parfaitement leur propos:
1. L'Anthropocène et l'échelle des temps géologiques.
2. Anthropocène: une nouvelle « ère géologique » ?
3. Pourquoi vouloir imposer l'Anthropocène ?

Les informations délivrées par cette suite d'articles rendent évidemment peu crédible tout usage du terme, tant les arguments scientifiques évoqués sont fermement ancrés dans le réel et adossés à la crédibilité de leurs auteurs, qui semble peu contestable dans leur domaine.

Le premier article s'intéresse « aux subdivisions de l'échelle des temps géologiques » en précisant la procédure d'agréation et/ou de modification d'un nouveau terme selon un schéma complexe:

(organigramme extrait du premier article)

Les experts de chaque domaine scientifique se penchent ainsi au sein de nombreuses commissions terminologiques spécifiques sur l'harmonisation de la terminologie de leur domaine. Elles sont souvent hébergées par l'un ou l'autre institut national de normalisation comme l'AFNOR en France ou le NBN en Belgique.

C'est d'ailleurs, inspirée par un séminaire d'été à l'office de normalisation viennois sur la terminologie notionnelle, qui rend possible une aventure amateure et solitaire entreprise sur Nulle Part: il en résulte une Terminologie mésologique dynamique. Un autre effort similaire a été entrepris ailleurs. Et c'est peut-être au lancement de pareille réalisation qu'aurait pu laisser subordorer le titre de la première session du colloque qui consacre la mésologie à Cerisy cet été 2017: Notions mésologiques et complexité.
Ces efforts de normalisation terminologique débouchent sur une définition précise de notions propres à un domaine de spécialité, souvent d'ailleurs organisées en réseaux notionnels complexes, tels que les définit notamment Termnet, le réseau international de terminologie et Tradital (ULB), ex-Termisti.

Le deuxième article paru sur The Conversation France retrace l'histoire jeune encore du terme anthropocène tandis que le troisième nous fait pénétrer dans les discussions internes de la Commission internationale de stratigraphie sur cet anthropocène si contestable.


Une certaine consécration mésologique

Parallèlement, mon attention avait initalement été attirée par un colloque d'une semaine consacré à LA MÉSOLOGIE, UN AUTRE PARADIGME POUR L'ANTHROPOCÈNE ? ( AUTOUR D'AUGUSTIN BERQUE )

J'en avais été dérangé, tant le mot est à la mode. Mon étude au long cours de la mésologie tend à en démontrer la validité et je m'étonnais (voire plus...) de constater l'usage de ce terme inapproprié employé dans le titre du colloque et l'intitulé d'une session, ainsi que dans certains titres de communications et articles de la main même (& donc de l'esprit !) d'A. Berque.

Même si c'est pour s'en tenir éloigné, pourquoi se mettre sous son parapluie quand même ? Est-il nécessaire de céder à la mode ? Je n'en pressens pas l'auteur fort adepte, de façon générale, ou alors je n'ai vraiment rien compris. En tout cas, il ne semble vraiment pas près d'acquérir un 4x4 par exemple... ni à devenir un TOM.

Je n'avais toutefois jusqu'à présent rien laissé paraître de mon... déplaisir, disons, orphelin d'une solution de remplacement. La critique est aisée mais l'art est difficile, n'est-il pas ? Autant être positif ou se taire.


Sortir de l'anthropocène par le haut

C'était toutefois sans compter sur la lecture d'un ouvrage délivré par colis postal ce 30/5/17 en mon havre (plus exactement chez une voisine qui l'a hébergé le temps que je rentre...): les éditions Verso viennent de publier le dernier oipus de McKenzie Wark intitulé General Intellects. Le colis à peine ouvert, j'en parcours la table des matières et je croise à la vingtième position Madame I. Stengers: j'éprouve une grande admiration pour son oeuvre et j'ai lu une large sélection de ses ouvrages, publiés seule ou en collaboration avec I. Prigogine (prix Nobel de chimie en 1977) et plus récemment avec P. Pignarre. Elle a aussi consacré un épais volume à l'oeuvre saisissante de Whitehead.

McKenzie Wark rend compte de sa lecture de la traduction anglaise d'un ouvrage qu'elle a publié en 2009: l'édition originale s'intitule Au temps des catastrophes: Résister à la barbarie qui vient. Mme Stengers y souligne notamment « l'intrusion de Gaïa ».

McKenzie Wark suggère un terme pour remplacer anthropocène: LE CAPITALOCÈNE qui aurait l'immense avantage, s'il était largement adopté, de nommer correctement la CAUSE du changement en cours au lieu de culpabiliser chaque humain, alors qu'il en est principalement la victime, même si, bien sûr par ses actes quotidiens mus par ses impuissances & ses incohérences aussi, il participe notamment au réchauffement climatique.

La suggestion de ce terme provient d'un ouvrage cité p. 298 par McKenzie Wark: Jason W. Moore, Capitalism in the web of life, également publié par Verso Books, non lu personnellement. Deux essais reprenant capitalocene dans leur titre figurent sur son site personnel en résument plus que probablement le propos du livre.

L'auteur a pourvu chacune des partie d'un résumé. Les voici: ils permettent de saisir la portée de son argumentaire en faveur de l'abandon d'anthropocène, qui reste lige face au grand caital, au profit de capitalocène, qui a en outre l'avantage de nommer plus correctement la cause sans forcer la main à la terminologie stratigraphique...

 

The Capitalocene
Part I: On the Nature & Origins of Our Ecological Crisis Jason W. Moore1
Fernand Braudel Center and Department of Sociology Binghamton University
This essay builds out an argument for understanding the past five centuries as
the Capitalocene, the “age of capital.” The present essay – the first of two
parts – engages the now-dominant Anthropocene reading of modern
history and its accounting of ecological crisis. Situating the Anthropocene
perspective within green thought since the 1970s, I show that the
emphasis on the Industrial Revolution as the origin of modernity flows from a
historical method that privileges environmental consequences and occludes
relations of capital and power. Underscored by – but hardly limited to –
Anthropocene arguments, this consequentialist bias is pervasive to green
thought’s engagement with history: as a succession of social processes that
cause environmental consequences. This bias underpins a series of important
mis-recognitions. Above all, green thought’s love affair with the Industrial
Revolution has undermined efforts to locate the origins of today’s crises in the
epoch making transformations of capital, power, and nature that began in the
“long” sixteenth century. The alternative to the “Age of Man” (the
Anthropocene) is the “Age of Capital” (the Capitalocene). In this, capitalism is
understood as a world-ecology, joining the accumulation of capital, the pursuit
of power, and the co -production of nature in dialectical unity. This alternative is
developed in successive philosophical, historical, and the oretical registers.
First, I highlight the problem of Cartesian dualism in global environme ntal
change. The alternative implies a shift from humanity and nature to
humanity -innature. Second, I reconstruct early capitalism’s extraordinary
environmental transfo rmations through its mutually reinforcing transitions in
science, production, and power. F inally, I argue for a historical frame that takes
capitalism and nature as double internal ities: capitalism-in-nature/nature-incapitalism. The generalization of the value -form (the commodity) is
possible only through the expanded reproduction of value -relations that
unify wage-labor with its conditions of expanded reproduction: the unpaid work
of human and extra-human natures.

The Capitalocene
Part II:Abstract Social Nature and the Limits to Capital
Jason W. Moore1 Fernand Braudel Center and Department of Sociology
Binghamton University
This essay builds out an argument for understanding the past five centuries as
the Capitalocene, the “age of capital.” The present essay – the second of two
parts – reconstructs the limits, opportunities, and crises of the capitalist
world-ecology since the long 16th century. This reconstruction is pursued
through the world-ecological reading of value-relations introduced in Part I.
While Marxist political economy has taken value to be an economic
phenomenon with systemic implications, I suggest value -relations as a
systemic phenomenon with a pivotal economic moment. The accumulation of
abstract social labor is possible only to the degree that unpaid work (human
and extra-human) can be appropriated. The value-form (the commodity) and
its substance (abstract social labor) depend upon value-relations that
configure wage-labor with its necessarily more expansive conditions of
reproduction: unpaid work. Elaborating an approach that seeks to translate the
appropriation of work/energy into value, I argue for a conception of value
-relations as coproduced through relations of exploitation (capital-labor)
and appropriation (capitalunpaid work). This latter, accumulation by
appropriation, is enabled by abstract social nature, the relational counterpoint
to abstract social labor. If the substance of abstract social nature is the
production of “real abstract ions” of time (linear), space (flat), and nature
(external), its historical expressions are found in the family of processes
through which capitalists and state-machineries map, identify, quantify,
measure, and code human and extra-human natures in service to capital
accumulation. The historical conditions of “cheap nature” are found not only in
the capital-labor relation but also in the production of knowledge-practices
necessary to identify and to appropriate unpaid work. A framework that unifies
the domains of human and extra-human activity in the making of the modern
world may well prove useful in developing effective analytics and emancipatory
politics as modernity unravels today.


Ce changement proposé d'appellation pour nommer l'extrême contemporain s'adosse à un courant philosophique qui tend à dépoussiérer la philosophie proposée par K. Marx, trop souvent identifiée à ce que le régime soviétique russe et la chine maoïste en ont fait et non à ce que K. Marx en a vraiment dit.

A. Badiou (non lu) résume le propos de ce courant de dépoussiérage, dont il n'est probablement pas le plus crédible d'ailleurs... : "Si le marxisme est « aujourd’hui, aussi, le nom d’une défaite » conclut Badiou, sa fonction fondamentale reste inentamée : « le marxisme, qui est l’intellectualité de la politique communiste, continue à proposer la seule modernité concurrentielle face au capitalisme. La seule, au sens strict : il n’y en a rigoureusement aucune autre »." Source


Cette note terminologique plaide, pour nommer l'extrême contemporain qui tend à privilégier la finance au détriment de la planète et de l'Homme qui y vit, d'abandonner le terme erroné d'anthropocène au profit du capitalocène, qui a l'avantage de nommer correctement la cause de dégâts constatés (entre autres écologiques mais également humains). Cette note ne vaut évidemment pas suggestion de modification d'intitulés du colloque de Cerisy (et/ou d'articles déjà publiés). Il sera peut-être encore temps d'en faire la remarque une fois sur place...

Cette note relève également d'un questionnement plus large: Est-il bien raisonnable de céder à une mode, qui ne devrait toucher que les suiveurs ?

Et s'il fallait encore enfoncer le clou plus loin, The London Review of Books rappelle les mêmes faits têtus autour de cette commission de stratigraphie dans un article récent sous la plume de Jenny Turner. J'en cite de larges extraits ci-dessous car le capitalocène comme l'anthropocène sont renvoyés dans les cordes comme ignorant le vivant en général. Le raisonnement vaut la peine d'être suivi dans sa densité:

« The word ‘Anthropocene’, defined as ‘the era of geological time during which human activity is considered to be the dominant influence on the environment, climate and ecology of the earth’, only made it into the OED in 2014. But doesn’t it feel like it was a billion years ago already? Benjamin Kunkel, writing in the LRB of 5 March, found the term all over recent books of natural history, art and poetry, and on a death-metal album, and concluded his study of what the word might mean for Marxist political economists with an attempt to project it into the eagerly awaited post-capitalist future: ‘In the political sense of the term, then, the question about the Anthropocene isn’t when it began but whether it ever will, and if so, where first. Godspeed!’

It’s easy to see why the word has become so widely used so quickly. It looks great, it has a luscious mouth-feel, and seems just the thing to bring new urgency and direction to all the tired old arguments about climate change, resource depletion, the future of the planet and so on, which is more or less exactly what Paul Crutzen and Eugene F. Stoermer hoped would happen when they first proposed it in the Global Change Newsletter in 2000. Crutzen is an atmospheric chemist; Stoermer, who died in 2012, was a freshwater ecologist. The nature of their work caused them to understand the urgency early.

As yet, however, the word has no formal scientific standing, and won’t have for a good few years. It’s the job of the International Commission on Stratigraphy, the rock-dating arm of the International Union of Geological Sciences, to decide whether or not to add the Anthropocene as a unit to the geological timescale, and there is much to consider. For example, the OED, in its definition, calls the Anthropocene an ‘era’, maybe because its lexicographers don’t realise that in geology, an era is of a completely different order of magnitude to an epoch, which is the level at which most authorities think the Anthropocene works best. The Anthropocene would be classified as the epoch that follows the Holocene, in the Quaternary period, in the Cenozoic era of the Phanerozoic eon, which started around 542 million years ago with the evolution of multicellular organisms from single cells. There’s also a view that the Anthropocene works better not as an epoch but as a boundary, the layer dividing the Holocene from whatever comes next. At the International Geological Congress in South Africa last summer, 20.5 of the Anthropocene Working Group’s 35 members voted in favour of calling the Anthropocene an ‘epoch’. There were two votes each for ‘era’ and ‘age’, 1.5 for ‘period’ and one each for ‘sub-epoch’ and ‘none’; three members were ‘uncertain’ and four abstained. (It was an informal vote, I’m told, ‘only to give a sense of the measure of agreement’. The halves represent a single member, who at that point felt split.)

The working group has also been examining the fossil evidence pro and contra, most of it compellingly pro. An article from December 2015 by Jan Zalasewicz, its chairman, and Colin Waters of the British Geological Survey found plastics, smelted metals, novel radionuclides and raised carbon levels in every cranny of the earth’s crust, as well as new rock forms made of squashed-up toys and nappies and all the other stuff that ends up in landfill. The final ruling, Zalasewicz and Waters write, ‘will hinge as much on the perceived usefulness of having this unit on the Geological Time Scale (and for whom it is useful, given the wide interest in the concept) as on its geological reality. This is a complex question, the answer to which is hard to predict.’

No one really disputes that a shift is happening and/or has happened, and that it should be recognised by a proper name. As Kunkel explained, however, the left critique of the Anthropocene complex sees it as far too abstract and homogeneous, far too blaming of humans in general for depredations largely committed by certain classes: that’s the reason Jason Moore and Andreas Malm have proposed the term ‘Capitalocene’ instead. Donna Haraway acknowledges that both names have tactical uses in particular contexts, but thinks that neither carries as much complexity as it needs to in what she calls, after Ursula le Guin and her Carrier-Bag Theory of Storytelling, its ‘refurbished net bag’.

The problem with the Anthropocene, Haraway thinks, is that it is just too anthropocentric. The ‘human exceptionalism’ of the term misleads everybody as to the true nature of the problem, generating reactions that say a lot about the varieties of human bias but very little about what needs to be done. Optimists tend to have ‘a comic faith in technofixes, whether secular or religious: technology will somehow come to the rescue of its naughty but very clever children, or what amounts to the same thing, God will come to the rescue of his disobedient but ever hopeful children.’ And pessimists are even sillier, with their ‘odd apocalyptic panics’ and ‘self-certain and self-fulfilling predictions’. In any case, neither Anthropocene nor Capitalocene leaves room for all the other species with which anthropos shares the planet. The omission, Haraway believes, ‘saps our capacity for imagining and caring for other worlds’.

Both terms, she proposes, should be replaced by a new one, Chthulucene, from the Greek khthon, ‘of the earth’, and kainos, ‘completely new’: ‘Kainos means now, a time of beginnings, a time for ongoing, for freshness … Living-with and dying-with each other potently in the Chthulucene can be a fierce rebuke to the dictates of both Anthropos and Capital.’ She also enjoys, in characteristic fashion, the closeness of her coinage Chthulu to Cthulhu, the demonic cephalopoid monster in the horror stories of H.P. Lovecraft: ‘I imagine chthonic ones as replete with tentacles, feelers, digits, cords, whiptails, spider legs, and very unruly hair.’

When I tried outlining the Haraway critique to a couple of proper lab researchers, they were scornful. Words and feelings are irrelevant, only the data matters. Anthropocene, Capitalocene, Chthulucene, you can call it what you like. And they are right, except that no one, not even scientists, lives just by rows of data: words and feelings are factors too. Which is where Haraway and her critique of science come in: ‘It matters what thoughts think thoughts. It matters what knowledges know knowledges … It matters what worlds world worlds.’ So here’s one bunch of people, going on about climate change. Here’s another bunch, talking about climate change, so-called. Two tiny words, one fiddly shift of nuance, and yet the consequences can be immense.

Haraway, who is in her early seventies, is a professor emerita in the history of consciousness at the University of California, Santa Cruz, where she taught for many years. Her PhD, at Yale, was in biology. She had an interest in tunicates, which are commonly known as sea-squirts and look like colonies of pockets joined together by small tubes. She loved what she calls ‘the critters’ but she wasn’t cut out for lab work, and had another problem: she didn’t entirely believe in fundamental biological concepts, such as cells. ‘I was arguing that, in a very deep way, the cell was our name for processes that don’t have boundaries that are independent of our interaction … The descriptive term “cells” is a name for a historical kind of interaction, not a name for a thing in and of itself.’ »

Donna Harraway vient d'écrire deux ouvrages (non lus par Nulle Part) dont Jenny Turner fait le compte rendu exhaustif, comme toujours dans the LRB.  L'un concerne un manifeste cyborg et l'autre sur le Chthulucène (troisième terme pour nommer l'extrême contemporain...).

En voici les références catalographiques, telles que précisées dans l'entête de l'article:

  • Manifestly Haraway: ‘A Cyborg Manifesto’, ‘The Companion Species Manifesto’, Companions in Conversation (with Cary Wolfe) by Donna Haraway
    Minnesota, 300 pp, £15.95, April 2016, ISBN 978 0 8166 5048 4
  • BuyStaying with the Trouble: Making Kin in the Chthulucene by Donna Haraway
    Duke, 312 pp, £22.99, August 2016, ISBN 978 0 8223 6224 1

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