Mettre à jour un essai sur un site, celui-ci en l'occurrence, est un puissance qui sied à toute lecture de fond de l'Éthique spinozienne. En octobre 2024, les éditions Rivages ont rendu disponible dans leur collection Rivages Poche, sous le n° 1110, le volume que Bernard Pautrat avait consacré en 2011 à Spinoza et l'amour: Ethica sexualis. Le décorticage éclairé du texte qu'il a lui-même traduit par ce fin connaisseur des oeuvres de Spinoza apporte un éclairage pointu à ce que Spinoza avait à dire de ce sujet ô combien "touchy", quelle que soit l'époque. D'avoir ainsi rejoint la Léonardienne, l'ouvrage se manipule intensément... La suite de l'essai n'a pas encore été retouché. Je note déjà que le texte n'a pas été retouché; la pagination par contre figurant dans la table des matières illustrée plus bas correspond à l'édition de 2011; celle de 2024 est publiée en collection de poche et voit dès lors son nombre de pages augmenter jusqu'à 495.
Alexandre Matheron, né en 1926, avait déjà abordé le sujet dans un article intitulé La sexualité dans l'Éthique, repris dans Anthropologie & politique au XVIIe s.(Vrin, 1986, 209-230), nous livre B. Pautrat. Ce volume ne m'est pas accessible, tandis que dans un volume plus récent publié par l'ENS en 2011, Études sur Spinoza & les philosophies de l'âge classique, figure un chapitre intitulé Spinoza & la sexualité (305-324) qui a été originellement publié dans une revue italienne. La référence au volume publié chez Vrin en 1986 figure en deuxième source. Le titre est donc différent mais le contenu semble être le même.
La thèse que B. Pautrat pose dans la dernière phrase de son introduction se met en opposition relative par rapport à Alexandre Matheron. L'enquête auquel se livre ensuite B. Pautrat est passionnante !
Alexandre Matheron | Bernard Pautrat |
Alexandre Matheron | B. Pautrat |
La table des matières de l'ouvrage de Bernard Pautrat pourrait s'illustrer ainsi:
Les mots-clés qui ressortent de cette table des matières ne laissent aucun doute sur les surprises que Spinoza a parsemées dans son ouvrage majeur. Il n'est de meilleur enquêteur que B. Pautrat dont les traductions belles (mais rèches) sont pareillement des révélations: le sens y affleure très souvent enrichi. Comme si la lecture qu'il nous propose en révélait des raffinements que d'autres traductions n'avaient pas débusqués.
C'est à nouveau au réseau de lecture publique de la Province de Liège que je dois le privilège de lire de manière approfondie cet ouvrage épuisé: il se monnaie fort cher à la bourse très capitaliste des livres épuisés sur Internet.
Les trois premiers chapitres d'Ethica sexualis rassemble trois passages "étranges" de l'Éthique. Bien sûr, BP n'est pas le premier ni le seul à attirer notre attention sur ces étrangetés. Sa lecture est originale, & rare par rapport à d'autres exégètes autorisés de Spinoza. Je pense notamment à P. Macherey et P.-F. Moreau, mais aussi J F Billeter, E. Delassus, M. Juffé, A. Matheron, R. Misrahi, C. Ramond & A. Suhamy. Plus je lis sur Spinoza et plus je lis Spinoza: cela offre souvent l'occasion de déceler des nuances dans les traductions proposées, ce qui amène alors une réflexion sur la responsabilité du traducteur face à l'original.
Le livre de BP est une enquête ayant pour objet la réponse à cette question:
« De quelles propositions Spinoza aurait-il pu, et peut-être dû en effet, nous envoyer pour appuyer ses dires ? Pourquoi, en vérité, càd more geometrico, l'homme libre vit-il sa sexualité dans les conditions énoncées aux chapitres XIX & XX de l'appendice qui clôt la quatrième partie ? » BP se concentre en effet sur ces deux passages où Spinoza emploie l'expression AMOR MERETRICIUS.
Dans le chapitre XIX, BP la traduit par amour sexuel: « En outre, l'amour sexuel, càd l'appétit d'engendrer qui nait de l'apparence. »
R. Misrahi et C. Appuhn rendent cette expression par amour sensuel; une autre nuance se glisse aussi:
RM « L'amour sensuel, càd le désir sexuel qui nait de la beauté... »
CA « L'amour sensuel, càd l'appétit d'engendrer qui nait de la beauté... »
Gaffiot & BP nous apprennent que meretrix est la courtisane, la femme publique & qu'il apparait dans deux autres passages de l'Éthique:
- IV, prop. 44, scolie: « & si l'on ne croit pas moins fous ceux qui brûlent d'amour et ne font nuit & jour que rêver à une maitresse (amasia) ou à une meretrix (que je traduis par prostituée, commente BP), c'est parce que d'ordinaire ils éveillent le rire. »
- IV, prop. 71 scolie: « Ici l'homme fait bien de fuir l'envahissante libido de cette femme, & de refuser ses cadeaux, ou peut-être plutôt: de savoir ne pas rendre les cadeaux qu'il a reçus prenant alors le risque de sembler l'ingrat qu'il n'est pas. » Ethica sexualis p. 15
Cet amour-là nait d'autre chose que de la liberté de l'âme. Mais voici l'ensemble de ce chapitre XIX dans la traduction de BP (p. 487): « En outre, l'amour sexuel, càd l'appétit d'engendrer qui nait de l'apparence, &, absolument parlant, tout Amour qui reconnait une cause autre que la liberté de l'âme, se change facilement en Haine, à moins d'être, ce qui est pire, une espèce de délire, & alors c'est plutôt la discorde que la concorde qui est alimentée. »
Le chapitre XX « est le passage de l'Éthique le plus explicitement consacré à l'amour sous la conduite de la raison. ». Le voici: « Pour ce qui touche au mariage, il est certain qu'il convient avec la raison si le Désir de s'accoupler aux corps n'est pas engendré seulement par l'apparence, mais également par l'Amour de procréer des enfants & de les éduquer sagement; & si, de plus, l'Amour de l'un & l'autre, j'entends de l'homme & de la femme, a pour cause non la seule apparence, mais la liberté de l'âme. »
Dans "vie sexuelle", l'adjectif sexuel « désigne le rapport érotique entre les corps », nous précise encore BP. 17