C'est dans un entre-temps éclairé par l'humeur sombre que la ville faisait régner sur sa vallée que soudain la pupille s'illumina à la vue/lecture par saisie rapide du titre de cet ouvrage: La femme changée en bibliothèque.
Éditions Jérome Millon: j'ai un souvenir précis d'une commande reçue de cette honorable maison d'édition grenobloise indépendante: en ces temps covidiens, tout échange humain convenait, n'est-ce pas. Et Hildegarde de Bingen en fut l'occasion. J'avais eu l'occasion de remercier Mr. Millon d'avoir joint à l'envoi plastiquement acquitté à distance un autre ouvrage de sa collection. La beauté du geste m'avait plu.
Voici donc qu'une autre moniale séduit par la grâce d'un titre attablé en cette librairie de coteau liégeois que l'ouvrage, signé par Lucrèce Luciani (1952), rejoint mon escarcelle adossée. De quel meilleur fantasme éclairer un week-end lunairement pentecostal un temps de dépose personnelle ?
D'autant que l'autrice sait y faire. Tout comme son préfacier, Claude-Louis Combet (1932), qui s'emploie à nous introduire à l'univers qui nous attend. Il dirige la collection Atopia de la maison d'édition.
Qu'une recluse fasse de sa vie confinée une dédicace absolue aux livres comme bibliothécaire marque bien l'époque: elle vécut fin du IXe siècle de notre ère et le premier quart du Xe avant de mourir en 926 lors d'une attaque du couvent de Saint Gall par des hordes hongroises. L'atroce mort d'une femme sous les coups d'hommes venus d'ailleurs ne s'appelait pas encore féminicide, mais c'en fut un.
Il nous est impossible d'imaginer ses conditions de vie : le monastère telle qu'elle l'a connu a disparu pour laisser la place à un ensemble de style rococo qui bénéficie de quelques pages de présentation dans un ouvrage publié par les éditions Taschen sobrement intitulé Libraries et magnifiquement illustré de photos pleine page (374-383). Fondé en 612, ce monastère de l'ordre bénédictin, ordre qui, lui, a été rendu célèbre par Le nom de la rose, ce succès mondial écrit par Umberto Eco en 1980 et par la suite filmé par Jean-Jacques Annaud avec le succès que l'on sait grâce entre autres à l'interprétation magistrale de Sean Connery.
Le style enlevé adopté par Lucrèce Luciani (1952) séduit. Séduit et déconcerte. Les renseignements les plus précis sur l'autrice consistent en ceci: « Lucrèce Luciani, née à Caen en 1952, a passé son enfance au Maroc. Après des études de psychologie et philosophie à Aix-en-Provence, elle s’installe dans cette ville comme psychanalyste à partir de 1985. En 2010, elle part s’établir en Algérie puis revient à Aix-en-Provence où elle poursuit ses projets d’écriture en France comme de l’autre côté de la Méditerranée. Essayiste, elle a notamment publié Le démon de saint Jérôme, l’ardeur des livres (La Bibliothèque) ou L’Acédie, le vice de forme du christianisme de saint Paul à Lacan (Éd. du Cerf). » Source.
Une Ouverture tient en quatre pages. Dans Opus premier, La libellule ou l'état ailé de Wiborade, L. Luciani s'attache à nous représenter ce qu'a pu être l'enfance de Wiborade. Les titre suivants sanctifient Georges puis Magne, le saint honoré par l'église attenante au monastère à Saint Gall, pour baliser la vie de la jeune adulte. Le prénom signifie "conseillère des femmes" (27). Ses parents appartiennent à l'aristocratie. La petite vit dans un castrum (30), un château.
L'opus second, La chrysalide sainte Wiborade, s'organise autour du Trou: l'avant, le dedans puis l'au-delà du trou sous-titré, lui, La constellation de Saint Gall. La conclusion a Fugue pour nom.
Typographiquement, le tiret long — balise notre lecture à l'entame de chaque nouvelle idée; plusieurs paragraphes peuvent lui offrir un vase d'expansion. L'objet-livre est soigné, les éditeurs savent y faire: Marie-Claude Carrara et Jérome Millon, bien secondés par les imprimeurs de Monts.
Le style, donc : il emporte ses allants médiévaux, des mots inconnus se faufilent, des remontées croisées dans les textes que l'autrice a dû manipuler à foison, engageant pour ma part une course-poursuite personnelle sur les wikis pluriels. Car notre lecture est souvent laissée à sa circonspection: le français médiéval n'est pas mon fort ! Le gotique, ça irait à la rigueur; un Mossé de derrière les fagots doit dormir quelque part, pas très loin de mon poste de commande. L'enthousiasme autoral aidant, cela ne contrarie pas ma lecture face à l'imperfection de ma compréhension. Rien n'est jamais parfait, apprends-je.
La gamine dûment nourricée en son très jeune âge trouve à épanouir ses jeunes années dans la forêt proche du château de ses parents.