Cet ouvrage-fleuve (plus de 600 pages) est un vivier. S'en tenir à une lecture assidue, précise, soutenue. S'y sentir comme un poisson dans l'eau. En territoires familiers, aimés.

Pensons à remercier l'équipe du Matricule des Anges pour ces découvertes à répétition que l'auteur choisi chaque mois offre à leurs lecteurs. Et Daniel Lespiau dont l'insistance auprès de l'auteur a réussi à contourner l'inintérêt initial à ses yeux de publier ce matériau. 19

À mesure de la progression, l'ajout de l'une ou l'autre fulgurance pour donner le goût de (the palatability), susciter l'envie de dé-couvrir... Car ce livre est infiniment goûteux (tasty) pour tout amoureux de sa langue...


Ce cours est un déclencheur, comme cette Tactique de la disparition 115. Faire sécession, se séparer, s'éloigner, s'en aller, se couper.
La ligne de sécession naît d'une rupture. Rupture unilatérale d'un contrat. Formule fondatrice: Je ne joue plus.
Disparaître est vécu comme une rupture.
L'auteur cite une parole célèbre de Bartelby (H. Melville): à chaque tâche que le notaire lui demande d'effectuer, ce clerc répond invariablement: I would prefer not to.
« La ligne de sécession n'est pas une ligne de fuite. Elle est du type*:
- je coupe le courant,
- je débranche la machine,
- désormais je ne reconnais plus les règles du jeu.
Elle est par excellence une ligne d'idiotie ou [une ligne] de solitude. »


* Ce type n'introduit nulle typologie mais trois exemples. E. Hocquard aurait aussi pu dire Voici trois exemples:


Cette plume non conforme est de toute grande taille. Elle a la stature d'un géant. Une singularité discursive. Pourtant, ses ouvrages ne font pas partie des fonds de librairies connues & fréquentées.


Journal of a reading: Glimpses - Snapshots

« L'anecdote me sert à exposer quelle est la connotation d'un mot que j'emploie; me sert à expliquer que tous les mots que j'emploie ne sont réellement compréhensibles que par moi. Il n'y a pas de littéralité. Ou du moins, [...], la littéralité n'est qu'un terrain où vont s'accrocher toutes les subjectivités. Je pense aux affects, qui seraient un repoussoir dans les libres comme dans les cours D'Emmanuel Hocquard. Jusqu'à ce que la question devienne: comment rendre un affect intelligent ? Je pense au destinataire. » Préface de David Lespiau, 23.

« Anecdote: récit relatif à un petit fait de caractère privé et sans portée générale. L'idiot est friand d'anecdotes. En fait, pour lui, tout est anecdote ... » Nous écrit Emmanuel Hocquard, 43. Notons au passage que l'idiot bénéficie d'un traitement acéré qui éloigne assez fort du sens commun que le mot peut évoquer.

Il poursuit par deux citations par les deux philosophes qu'il lit assidûment:
Deleuze d'une part: « Nietzsche dispose d'une méthode qu'il invente: il ne faut se contenter ni de biographie, ni de bibliographie; il faut atteindre un point secret où la même chose est anecdote de la vie et aphorisme de la pensée. » in Logique du sens, Minuit, 1969.
Wittgenstein par ailleurs, elle est un peu longue, une rareté chez lui !, mais elle illustre bien le rôle de l'anecdote: « Je venais de prendre des pommes dans un sac en papier où elles avaient séjourné longtemps; j'avais dû en couper beaucoup par la moitié, et jeter la partie pourrie. Comme je recopiais, un instant plus tard, une phrase que j'avais écrite, dont la dernière (seconde ?) moitié était mauvaise, je la regardai aussitôt comme une pomme à demi pourrie. Il en va généralement ainsi pour moi: tout ce qui arrive devient une image de ce à quoi je suis en train de penser. » in Remarques mêlées, T.E.R., 1984.


Désespérances professorales. Récurrentes. L'écrit n'est pas natif chez ses étudiants... Ni la lecture. Or le prof./auteur donne à lire. Cela est proprement jubilatoire.
Enthousiasmes énergétiques face à ce texte. Chaque page pourrait/pourra/mais ne peut pas en même temps que la lecture/ déboucher sur des élans personnels. Chaque page.
Tant de joies en partages. Jubilatoire.

Quelques redites. Inévitables ? Le texte sur Jule par exemple. Il s'y donne à lire. Il s'y réfléchit. Il s'y distille des données qu'il pressent avoir échappé à ses étudiants dans le courant de leur apprentissage scolaire.

E. Hocquard manipule la mise en abyme, au-delà du potentiel jubilatoire naturellement accessible à ses destinataires. 145


« Le paradoxe avec l'écriture, c'est que tout le monde sait écrire et que tout le monde a de la difficulté à écrire. Ça veut dire que lorsqu'il s'agit de traduire sa pensée par écrit, il y a des blocages. C'est sur ces blocages que portera l'essentiel du travail. » 138

[Autobiographie]

« Je n'ai jamais inventé d'histoires. Je n'ai pas d'imagination. Tout ce qu'il y a dans mes livres est arrivé. On pourrait donc dire que tout ce que j'écris est autobiographique. Que mes livres racontent ma vie. Or, il n'en est rien, parce que telle n'a jamais été mon intention. Vouloir raconter sa vie, c'est dire : "Moi, voila comme je suis." Moi je. C'est ce que Deleuze apelait la manie du "sale petit secret". LA prétention à ériger ses fantasmes en performances de portée universelle. Écrire en partant de mon propre cas, ça n'a jamais consisté à me raconter, mais à le décrire, le re-présenter pour essayer d'y voir plus clair. Il n'est pas question de dire ce qui s'est passé pour moi, mais d'essayer de comprendre comment telle ou telle chose s'est produite. Ce ne sont pas des confidences, mais plutôt des descriptions de situations. Des leçons d'anatomie, des rapports de détective privé. » 192


Pour arriver à une certaine finesse dans un travail artistique, « ça prend le temps d'une vie... ou ... c'est le sens d'une vie. Et une vie, ça ne se compte pas plus en années que les oranges en francs. Rimbaud et Mozart ou Picasso et Victor Hugo ? Les uns sont morts jeunes, les autres très âgés, mais chaque fois le travail accompli est là, tel qu'il est. » 127 ... « J'ai dit dans un article que cela dépend de l'intensité de la personne. » id.


La seule chose qui trouve grâce aux yeux de Thomas Bernhard est l'idiotie. L'idiot n'est pas dans les habitudes. Ses actions et ses réactions sont imprévisibles parce qu'elles ne se réfèrent pas aux règles établies. Il ne s'y oppose pas non plus. Il ne sème pas le désordre à la place de l'ordre. Il fait simples ses propres raccordements. 64

Il y a un format école. Vous (dans une lettre à Marie, une étudiante, donc vous = les étudiants) ne mesurez pas assez l'importance de ce format école. Après, vous aurez toute votre vie pour faire votre oeuvre et laisser derrière vous, tel Moby Dick, une traînée étincelante. Vous ne mesurez pas la chance que vous avez d'être à l'école. Parce que vous êtes encore trop vieux, trop raides, trop plein d'idées reçues. Vous êtes si pressés de devenir des artistes que vous ne prenez pas le temps de vous poser la question d'idiot qu'évoque Deleuze en parlant des samouraïs :  Qu'est-ce qu'un samouraï ? Qu'est-ce qu'un artiste ? Pas un artiste en général, mais un artistes aujourd'hui. Alors il faut réfléchir à ça. C'est aussi à ça que peut servir l'école. 72

Edmond Jabès disait que chaque nouveau livre ne représente pas un livre de plus, mais un livre de moins (à écrire). Je suis sûr qu'être idiot consiste moins à s'approprier les choses qu'à s'en défaire. 108

J'ai fait une superbe expérience d'idiotie. J'ai pris conscience, pour la première fois, que je voyais en couleur. Je ne m'étais jamais posé la question. Ça m'a impressionné. Avant, je voyais en couleur, mais je ne le savais pas. Maintenant que je le sais, cela change tout. Je ne vois plus du tout les choses de la même manière. C'est très étrange. Quand je l'ai compris, ça a été une émotion très forte. Une émotion-couleur. Écrire, ça comporte aussi cette dimension : l'émotion-écriture. ...

 

Si j'éprouve une émotion et que je désire faire partager cette émotion par l'écriture - produire cet accord -, comment vais-je m'y prendre ? Je ne vais pas décrire mon émotion. Mais je vais montrer comment j'écris la chose que j'écris. Je vais montrer de l'écriture, pas une émotion. Voici (vois ici) ce que j'ai écrit pour toi. « Je t'écris pour te dire ... » 100


Un parcours, c'est « plein de sautes, de contradictions, de paradoxes, de tâtonnements, d'impasses, d'échecs, de digressions, d'évitements, de ressassages, d'angoisses, de questions sans réponses, de colères, de problèmes non résolus. » 129


« J'aimerais penser que l'art n'est pas une affaire d'objets mais de regards. Je ne vous montre pas un objet mais un regard. Mes objets sont simplement là pour vous permettre de comprendre un regard. Le regard auquel j'ai travaillé. Un style de vie, disait Michel Foucault., ou " faire de sa vie une oeuvre d'art". » 128


Je n'ai jamais rien volé, « même pas un livre, pas du tout par morale (j'adorais le voleur de Darien), mais parce que j'avais retourné la formule et considérais que le vol c'est la propriété et que je déteste la propriété » 132

 

 


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