Chaque numéro du Matricule des anges se lit avec constance et joies. Celui de juin 2015 consacre son dossier à Louis-René des Forêts à l'occasion de la parution de ses oeuvres complètes dans la collection Quarto chez Gallimard. Je leur ai fait confiance. J'en suis enchanté. Puis-je vous en donner l'avant-goût ? J'y ai notamment trouvé

l'homme, comme
épuré
par le langage
auquel il accorde
la fonction
de "nous déraciner
de nos habitudes",
aux ressources
desquelles il offre
sa confiance inaltérée
par la vie...

Car peut-être la vie est-elle une épure aussi quand le langage lui est central. Je trouve sous cette plume une effervescence à vivre la profondeur d'un engagement personnel.

Quelques citations:

" Perpétuer, du moins pour un temps, ce que la mort s'apprête à réduire en poussière, tel est parmi d'autres le rôle du langage. " 1022 (Face à l'immémorable, 1993)

"Ce que l'on doit attendre du langage, c'est de nous déraciner de nos habitudes." 1024

[Le langage,] " C'est enfin l'unique voie d'accès vers le silence - un silence tout opposé à celui de la mort en ce qu'il a pour effet, non pas comme il semblerait de nous y conduire par anticipation, mais en nous délivrant des formes verbales - toujours excédentaires, souvent déprimantes - de nous ramener au plus près de l'état de nature, dans un rapport d'intensité qui est le merveilleux privilège de l'enfance. " 1026

" S'assagir, faire acte de soumission à la raison, c'est entrer dans le jeu de la mort. " 1031

*

Le dossier accompagnant Ostinato nous donne à lire une recension remarquable de Max Loreau dans Le Matin du 21 02 1984. J'extrais ceci sur la phrase de L-R des Forêts:

" Et la phrase longue, tortueuse, procédant à coups d'additions, mais ayant la même minutie en tout point de son déroulement, contribue à faire, en effet, de chacun des fragments du texte une espèce de sculpture complète d'êtres ciselés d'une pièce en dépit d'une foule de détails." 1188

*

Cet extrait un peu long d'un poème figurant dans Les Mégères de la mer, paru en 1965, met en exergue cette phrase déjà présente toute entière presque 20 ans avant Ostinato.
"La mort... bonne justicière qui me restituerait mon dû,
cette patrie néante d'où je fus indûment arraché [...]
Guide-moi, ô mère, sous ta sombre voûte utérine
Étouffée soit ma voix, biffé le patronyme qui m'enchaîne
Profanée aux orties toute perduration funéraire
Vierge la stèle où gît le fruit blet d'une parturition !"

L'auteur met ces mots forts au service d'une sensation maintes fois éprouvée d'une paix qui ne demandait rien à personne, cette patrie néante du poète, à laquelle chaque enfant est arraché par la volonté de puissance de deux parents. Un ami très cher dit du père que "le jour où il m'a conçu, il aurait mieux fait de faire un noeud !". Ce qui ne nous empêche pas d'apprécier la vie en attendant
"la mort qui rend libre d'un trop vaste souci
Échéance, havre de grâce, terme du labyrinthe où nous errâmes
(Car être et n'être plus sont pareille malédiction)" 911.

D'autres citations viendront, au gré de mes pérégrinations.


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