Le présent vibre

En haut du boulevard le crépuscule humain
Se cristallise en arc électrique. Un bruit mince
Frétille. Le courant, qui s’acharne à passer
Et accroche au buisson des molécules, saigne.
Les frissons de l’éther partent en trépignant.
La foule du trottoir a repris confiance.
L’ombre appelait les cœurs et les menait danser
Sur des airs de chansons alanguis ou obscènes,
Loin, dans la solitude et dans le souvenir.
Or, la lumière trace une piste de cirque ;
Les rythmes un instant y tournent, subjugués ;
Les âmes qu’on cachait tantôt, on les dégaine
Pour trempler* leurs tranchants parallèles et nus
Dans la clarté.
XXXXXXXXXXXX Mais, au fond des corps, les cellules
Sentent de merveilleux effluves onduler
Vers elles ; l’arc crépitant de fougue solaire,
Darde en chacune le désir d’être un héros.
Des rayons qu’on ne voit pas vibrent, clairons rauques.
L’unité de la chair commence à craquer ;
Les globules captifs ragent comme des guêpes
Dans une toile d’araignée, et l’air est plein
De liberté que nouent de nouvelles étreintes.
La lueur aide un arbre à vouloir le printemps.
Dans les chairs, les cerveaux pensent moins ; et les branches
Souhaitent moins une âme, et tâchent de grandir.
L’esprit cède sa force à l’influx électrique.
La rue est résolue à jouir, tout à coup.
Au coin de carrefours il se caille des couples ;
Les germes bougent. Des hommes vont s’attabler
Aux tavernes en petits groupes circulaires.
La foule rêve d’être un village au soleil. (La vie unanime, 1904-1907)


in Jules Romains par André Figueras (1967), Seghers, Poètes d’aujourd’hui, 33, pp. 100-101. Francis Combes s'exprime sur l'unanimisme dans lequel il classe Jules Romains.


* tremper ?

 


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