Belle de nuit

Ses doigts promènent dans nos yeux de charmants fantômes. Sa tête s'élève au-dessus des maisons et si les maisons s'endorment, elle n'abaisse pas les paupières devant la nuit.
La houle de son corps berce la ville endormie.
Ses lèvres pendant toute la nuit versent sur les toits une tendre clarté.
Promenons-nous sur le toit.
Au matin, il n'y a plus de trace du prodige.
C'est, si l'on veut, un matin comme les autres.

* * *

C'est une lueur tournante qui s'engage dans les ruelles au crépuscule. On ne pourrait dire si un visage habite cette clarté étrange, ou bien des mains monstrueusement pâles qui frappent aux vitres obscures, qui regardent.
Au fond des chambres sans lumière, les visages se cachent au fond des mains.
Puis un vent bleu de nuit possède la rue déserte.

* * *

Les bruits et les lumières circulaient dans la tête fermée. Les bruits se gonflaient en mousses, crevaient. Le coeur battait. Les billes sonores de la lumière heurtaient les paupières descendues et de l'autre côté, il n'y avait que la poussée du vent aveugle de la nuit.
Les jambes et les bras, la peau, attendaient un ordre de la tête, mais les paupières et les lèvres semblaient mortes à demeurer ainsi obstinément closes.
Quand la tête fut saturée de clartés et de traits, quand l'agitation et le balancement intérieurs ne laissèrent plus l'espoir d'une plus grande perfection, le corps s'abandonna au ciel vivant de la tête, aux vagues si denses de cette lumineuse musique, délivré de son désir aux limites inflexibles.

in Paul Nougé, Fragments, Labor, Espace Nord 7, pp.170-172. Recueil: La glace sans tain.


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