Concours ACHÈVE-MOI Début de nouvelle 5, par Jean-Luc Fonck

SA PETITE PIAULE
Je devais me rendre de l’autre côté du pays pour rendre visite à mon cousin Francis qui habitait de l’autre côté du pays sinon je ne m’y serais jamais rendu.
Ouille ! Ca commence fort cette histoire ! Déjà presque cinq lignes d’écrites ! (Si ! Je sais compter, les deux dernières comptent aussi…) … et encore presque rien dit !
Ceci dit, on a déjà appris que mon cousin Francis habitait de l’autre côté du pays et que j’allais lui rendre visite. C’est déjà pas si mal ! Il y a des auteurs, dont je tairai le nom, qui écrivent une quinzaine de pages rien que pour dire que l’histoire commence un lundi… Pour savoir si c’est un lundi matin ou un lundi après-midi, il faut bien parfois attendre la fin du
deuxième chapitre !
Bon, j’arrête, si je continue, je vais devenir comme eux…
Revenons à nos moutons !
Où en étais-je ? Ah oui… voilà :
Je devais me rendre de l’autre côté du pays pour rendre visite à mon cousin Francis. Cela faisait une éternité que je ne l’avais plus vu et je me faisais une joie à l’idée de passer quelques jours avec lui. Sacré cousin Francis ! Comme il avait dû changer… Depuis le temps…
J’avais décidé de voyager en train. J’avais tellement roulé en automobile ces derniers temps que je n’avais plus vraiment envie de passer des heures derrière un volant. En plus, j’ai toujours aimé les trains. C’est tellement rassurant un train ; sans doute parce que ça roule sur des rails… C’est bien les rails, c’est fort les rails. D’ailleurs, c’est tellement fort qu’on peut
rouler dessus avec des trains. Faut pas demander !
Il n’y avait pas beaucoup de monde à bord. Chouette ! C’est encore mieux quand il n’y a pas beaucoup de monde. Il n’y avait qu’une jeune dame et moi dans le compartiment. En plus, elle était assez jolie.
Le ciel était bleu, les arbres étaient verts… tout ça ne laissait présager que d’excellentes choses… ça se présentait bien comme voyage ! JeanLuc Fonck

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La suite (dans la série: c'est pas parce qu'ils ont pas aimé que je dois vous en priver...)

Beau train de mi-journée. Il prend les rails du Thalys sans en être un. J’observe la jeune dame du coin de l’oeil. Je suis à contresens : le paysage passe de façon plus langoureuse dans les grandes baies du train. Elle est dans le sens de la marche… jolie, elle l’est, la jeune dame, mais le sait-elle ? Vêtue à la va comme je te pousse, elle respire comme quelqu’un qui a dû
courir pour prendre le train, la jeune dame. Cheveux en pagaille, longues manches closes. Un grand cabas bée sur le siège en face d’elle. Il en sort un « Jeune et jolie »… mouais… un peu courant d’air comme lecture…
Le train caracole en tête. Mon cousin Francis, cela doit bien faire tout ce temps-là que je ne l’ai pas vu ! Il ne m’a pas manqué. Pourtant, on s’entendait bien, gamins. C’est la vie.
C’est son notaire, en fait, qui veut nous réunir, mon cousin Francis et moi. Je ne vous avais pas dit ? Il m’a sonné, mon cousin Francis, pas le notaire, pour me dire que l’oncle aux caricoles, comme je l’appelais quand j’étais petit, avait passé l’arme à gauche. Je lui présente mes condos, évidemment.
- Mais ce n’est pas pour ça que je t’appelle, qu’il me fait.
Effectivement, il est déjà parti réensemencer les caricoles. Un mois et demi qu’il est mort, l’oncle aux caricoles. C’est dire si on est proche, le cousin Francis et moi, maintenant.
- Il a fait un testament, et il paraît que tu es dessus, comme moi.
Ça m’étonne mais bon. Le notaire, il a dit. Il doit savoir, lui, le notaire, puisqu’il l’a lu, le testament.
C’est quoi, ce bout de bois qui dépasse, jeune et joli ? Cela m’a tout l’air d’être le manche d’un fameux couteau, ce bout de bois ! Tiens dissuasif, comme entrée en matière. Elle ne doit pas avoir toute sa tête à elle, la petiote, pour laisser dépasser ça ! Pas sûr que ça se présente si sage que ça, pour moi, ce voyage ! Tu es sûr que tu veux rester ici, je me dis à mon moi-même. Et puis, je ne suis pas parano, je ne vais pas me laisser avoir par l’incommensurable bêtise du risque zéro. Qu’est-ce tu veux qu’elle me fasse, elle n’a pas l’air d’avoir l’air. Je reste. Le débat intérieur ne s’extériorisera pas.
En fait, dans mon style sans crier gare, vous en apprenez des choses sur ma vie, vous ne trouvez pas ? Moi, j’aime bien distiller comme ça sans crier gare des petites infos qu’il vous faut deviner, relier, secouer. Ce n’est pas parce que vous lisez qu’il vous faut rester passif.
Sur moi, sur mon cousin Francis, vous en apprenez. Sur la jeune dame, je suis plus discret. Et pour cause, dans le train, je ne savais rien sur sa vie !
Revenons à nos moutons !
Où en étais-je ? Ah oui… voilà
: Le notaire. Il crèche entre mer et arrière-pays, pas si loin des vagues quand même. Dans un coin coquelet qu’il habite, le notaire. (Je n’ai pas pu m’empêcher ! Vous allez comprendre pourquoi… Un peu de patience, vous n’avez pas un train à prendre, si ? Emportez-moi dans le train, alors ! Cela vous fera passer le temps…) Pour l’instant, c’est le train jusqu’à Oostende. Non, je n’ai peut-être pas l’air, mais j’ai bien préparé mon coup. J’ai même retrouvé une ancienne carte dix trajets pas périmée pour prendre le tram ; avec la carte, un plan ! Je m’étonne moi-même. Et mon cousin Francis, il y a tellement longtemps que je ne l’ai pas vu que je ne sais même pas ce qu’il fait dans la vie ! Jeune, il n’était pas si sage que ça. Beau gosse, il aurait fait un joli petit couple avec ma mangeuse de saucisson. Tiens, pour lui le couteau… À l’ail en plus, ça sent jusqu’ici ! Elle ne doit pas voir son amoureux à l’arrivée, elle !
L’âge de mon cousin Francis ? Comme moi, à quelques mois près. Ça vous avance, hein ! J’aime bien vous faire miroiter des trucs que vous ne saurez pas ! On n’a grandi pas ensemble ; on se voyait certaines vacances, quand ma mère condescendait à supporter son frère qui avait gardé la maison familiale à la côte belche (la vlaamse kust, là). De toute façon, les deux familles faisaient bande à part ; c’est tellement grand, cette bicoque du Coq!
Nous deux, mon cousin Francis et moi je veux dire, on allait mater les filles à la plage et dans les dunes quand on a eu l’âge. Moi, je ne faisais que mater. Lui, il n’était pas si sage. La glace au spéculoos n’existait pas encore, c’est vous dire !
Tiens, voilà la petiote qui se roule en boule sur les deux sièges ; ça va devenir touchant, elle s’apprête à pioncer presque sous mon nez ! C’est dire si j’ai l’air inoffensif ! J’ai l’âge d’être son père mûr, ou son grand père jeune ! Ses cheveux flottent dans le vide ; elle a les cheveux mi-longs. Elle a rangé son bout de bois sous Jeune et Jolie ; sans la taillader, ou sinon elle ne serait plus si jolie! Avec le saucisson raccourci et le pain rétréci, dans le cabas qui dort déjà à ses pieds. L’abandon est réel. Calme et paisible, elle laisse le train bercer son corps. Elle respire calme et paisible. Ça fait plaisir à voir, une petiote qui se laisse bercer comme ça.
J’ai dû m’endormir aussi, je suis tout raide dans la nuque. Quoi, me rouler en boule comme la petiote ? C’est vrai, vous n’avez pas ma photo. Mais vous l’auriez, ma photo, vous comprendriez pourquoi je suis raide la nuque ! Voilà le port qui approche. Terminus, tout le monde descend, enfin, Oostende eindstation, c’est pour dans pas longtemps. En fait, je ne vais même pas chez mon cousin Francis, il ne m’a pas invité, mais directement chez le notaire. Reçu un courrier officiel et tout. Il faudra me méfier, hein, si j’hérite d’un truc, faut pas que ça me coûte. Je ne veux pas d’emmerdes. Rien à cirer d’une bicoque au Coq; elle
était déjà à peu près coma dépassé du temps où nous y allions avec ma mère et ma soeur.
Ok, ça ne date pas d’hier, mais justement, ça n’a pas dû l’arranger. C’est qu’elle n’a pas l’air de se bouger, la jeune dame. En sortant du wagon, je lui ai délicatement touché le bras pour la réveiller :
- Madame, on est arrivé.
Joli sourire dans un étirement.
- Merci, Monsieur.
J’y vais. Le long quai sent déjà la mer. Moins de vert, ici. Davantage de bleu, il fait presque chaud.
Je me dirige vers la gare des kusttrams ; elle m’y rattrape. On papote intermittent. Elle va au Coq aussi. Ça lui va bien, tiens, mon cousin Francis, le Coq ! Fier comme il était. Ma carte vaut pour deux.
- Mais je n’ veux pas vous embêter, je lui fais en voulant m’installer ailleurs.
- Oh mais vous me dérangez pas, qu’elle me fait, pour une fois que quelqu’un se montre gentil avec moi.
Elle descend au même arrêt que moi. Je la salue et la laisse filer. J’ai un peu de temps devant moi. Un café et DeMorgen, ça me va comme un gant. Et puis, c’est mon anniversaire, un chiffre rond en plus. Le journal de ce jour-là, je l’ajouterai à ma collection. Pas que je sois fétichiste des anniversaires ; ce n’est pas de ma faute, n’est-ce pas. Je n’ai pas choisi de venir ici, vous oui ? C’est gai, ces cafés flamands, déjà sans tabac. Toujours une longueur d’avance, ces flamands. Nous, c’est une ardeur d’avance. Eux, c’est une longueur. Je me demande comment ça se mesure l’ardeur qui avance…
Revenons à nos moutons !
Où en étais-je ? Ah oui… voilà :
Je la retrouve dans la rue la jeune dame qui venait de l’autre côté du pays, au loin, bien vingt minutes après : elle ne m’a pas vu. Elle sonne. Une dame vient ouvrir.
Ben, tiens, voilà mon cousin Francis. Il sort d’une voiture. Toujours bien lui, son pull à manches closes … Je traverse le saluer. Pas très causant. Il sonne, la dame vient ouvrir. Il passe avant moi ; je le suis. La petiote, c’est sa fille !
Cela dit, je suis le seul à passer la voir maintenant, la petiote. Toutes les lunes ou à peu près. J’en profite pour passer dire bonjour à la mer. J’aime bien la mer, moi, surtout l’horizon. Il n’avait qu’une fille, mon cousin Francis. Et la mère de la petiote, elle était morte depuis des années. Pas de petit copain. Bref, elle n’a plus que moi. Lointain parent, j’étais cousin germain avec son père avant qu’il passe de vie à trépas… Donc, elle est quoi ? Ma petite cousine ? Je crois que c’est ça. J’ai toujours trouvé ça compliqué les arbres généalogiques.
C’est compliqué pour atteindre son « chez elle ». Elle est toujours aussi calme et paisible que lorsqu’elle s’est roulée en boule sur les deux sièges et s’apprêtait à pioncer presque sous mon nez.
- Il fallait que quelqu’un le fasse, elle m’a dit une fois.
- Je sais pas moi, j’ai fait.
- Tu as raison, occupons-nous de toi. Tu vas comment ?
Et ça repart comme chaque fois. Même si chaque fois c’est nouveau. Elle a la radio, donc je ne lui raconte rien des infos qu’elle suit à sa manière. Je lui parle de moi, comment je vis avec tout ça. Elle me parle d’elle, comme elle vit avec tout ça. J’aime bien venir la voir. Je lui dis l’horizon, mes joies contemplatives. Je lui ai lu la nouvelle, là, que vous êtes en train de lire. Ça lui a bien plu, à elle.
Le saucisson à l’ail dans le train, elle avait bien fait d’en manger dans le train. Je ne lui ai jamais demandé si elle m’avait dans le collimateur pour lui servir de presqu’alibi. Il n’y a qu’à vous que je peux dire ça. Et puis, de toute façon, l’affaire est jugée et enterrée. Comme Francis. Elle sortira dans 4 ans.
La jeune dame du train, ma petite cousine, la petiote, elle est un peu la fille que je n’ai jamais eue. Nous tricotons ensemble un futur à notre taille, avec de la vraie laine de mouton, multicolore. Nous avons chacun choisi quatre couleurs différentes. Et elle tricote pour moi ; ça lui fait passer le temps. Moi, je lui amène les pelotes de laine de mouton et je repars avec les vêtements qu’elle me destine. Un pour elle, un pour moi, qu’elle tricote. Elle fait preuve d’une créativité silencieuse et butée. Vous ne pouvez pas savoir comment ils me font chaud au coeur, ces pulls en laine de mouton. Et ces écharpes. Et ces gants. Elle assortit les couleurs aux saisons.
Bon, j’arrête, si je continue, je vais vraiment dépasser les bornes statistiques … Une nouvelle, ils ont dit. Alors, j’achève, j’achève. Vous ignorez encore des tas de trucs. Mais, je ne suis pas sûr que ça soit vraiment vos oignons ! Et puis, si Monsieur Jean-Luc Fonck veut en faire un roman, lui, il ne tient qu’à lui.
Revenons à nos moutons une toute dernière fois.
Où en étais-je ? Ah oui… voilà :

- Le couteau, Monsieur le Commissaris, elle le lui a planté en plein dans le coeur.
On aurait dit qu’il se tenait sur ses gardes, comme ça. Parfaitement calme, sans une émotion sur son visage de jeune dame. Sans même lui dire bonjour. Il n’avait pas dû se montrer si gentil que ça avec elle. Je suis content d’avoir pu être poli dans la rue, avant cette histoire de couteau.
C’en était raté pour quelques jours à la mer avec lui. Elle l’a planté d’une drôle de manière, son couteau. Elle est un peu plus grande que lui. Une sorte de bousculade; un court instant, j’ai eu l’impression qu’elle allait sauter de joie en
embrassant son père.
- Ça n’a pas duré longtemps cette impression, Monsieur le Commissaris, j’ai vite vu le manche, sans le saucisson.
- Zonder saucisson?!? il m’a fait.
- Ah oui, il faut que je vous dise : je ne la connaissais pas avant de prendre le train. Nous étions dans le même wagon. Nous n’avons pas parlé, juste je l’ai vue couper du pain et du saucisson avec son couteau.
À part dans le ciel, des moutons, à la mer du Nord, finalement, il n’y en a pas tant que ça. Et pas encore autour de la bicoque du Coq, qu’elle habitera, une fois sortie de sa petite piaule. Elle en fera sa piaule du temps qui passe.

Les sélections finales du jury sont ici. (Jacques Mercier, président, rémunéré 5.000€... quand même! C'est lui le véritable gagnant!!!! - info du journal Le Soir.)


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