Note : Ceci est la traduction de l'anglais d'une recension que Daniel Callcut a publiée dans le n° d'été 2025 de The New Humanist (pp64-65), trimestriel auquel je suis abonné. L'ouvrage recensé, Hopeful pessimism, je suis également en train de le lire; vous trouverez ma présentation de l'ouvrage en suivant ce lien. L'avis sur le livre est "autorisé", raison principale de ma traduction:
§1 « Greta Thunberg à Davos a frappé les esprits. Je ne veux pas de votre espoir. Ce qui avait plus de sens, a-t-elle suggéré, était que les gens paniquent. Thunberg, il faut le rappeler, est une pessimiste sur la crise climatique, ayant constaté échec après échec sur des sujets environnementaux de la part d'aînés supposément plus sages qu'elle. La façon dont elle prend en compte le futur sombre peut donner l'impression de laisser peu de place pour l'espoir. Mais la philosophe Mara van der Lugt (VDL) dans ce livre brillant argumente que l'activiste personnifie en fait la vertu de pessimisme d'espoir.
§2 Le pessimisme selon van der Lugt a eu mauvaise presse. Ce qui la tracasse particulièrement est son association avec l'abandon de toute lutte. Certes, une attitude pessimiste peut conduire au défaitisme, mais elle pense que la fragilité de l'optimisme est une cause de souci plus grande. Après tout, dans un monde assombri et difficile, ce sont des attentes pour un mieux disant qui sont les plus vulnérables., les plus susceptibles d'échouer, ce qui peut entrainer l'optimiste à passer trop rapidement de la déception au fait de se sentir vaincu. Les pessimistes ont une plus grande capacité à résister aux chausse trappes que la vie met sur leur chemin.
§3 VDL est particulièrement inquiète de cela dans le cas de l'activisme. Si mener campagne de façon optimiste dépend trop du fait que les choses se passent bien, alors il se consume vite. Le pessimisme par contre peut fournir la résilience qu'exige un combat de longue haleine comme la justice climatique, n'ayant pas besoin d'être réalimenté en attentes de succès gratifiants. Il encourage aussi une évaluation plus honnête de ce qui fonctionne et de ce qui ne fonctionne pas. Ce qui rend du coup l'activisme pessimiste plus soutenable, selon VDL. Le plaidoyer pour le verre à moitié vide trouve aussi un appui de voyageurs pessimistes comme l'écrivain et philosophe français Albert Camus.
§4 Qu'en est-il alors de l'espoir ? Ici, comme avec le pessimisme, VDL se concentre sur l'importance de concevoir l'espoir d'une manière adéquate. Autant le pessimisme n'équivaut pas au défaitisme, l'espoir ne devrait pas équivaloir à un optimisme béat. Il n'est pas nécessaire de croire, pour espérer, que vous allez vaincre. Les chances de succès peuvent être extraordinairement minces. Il vous suffira de retenir que, pour tout ça, votre conviction qu'un changement positif est possible. VDL l'exprime de façon mémorable: Les gens pleins de coins sombres, il peut toujours y avoir cet étrange ouverture inébranlable, comme une porte qui s'ouvre en se fendant pour autoriser son entrée dans la vie.
§5 Certains scénarios semblent pliés d'avance. Cependant, VDL insiste sur le fait la conception qu'elle préfère fac à l'espoir tourne davantage autour de ce qui a du sens et est moral. Agir moralement de manière sensée. Elle évoque de façon émouvante le soulèvement du ghetto de Varsovie en 1943: la situation aurait eu beau être désespérée en termes de probabilité de succès, le combat en lui-même était néanmoins un acte d'espoir. & ce soulèvement ressortit de l'histoire en termes de résistance héroïque. La révolte était justifiée avance VDL " pour des raisons tenant à la justice, à la dignité, à la solidarité si pas à la victoire même." Même si un résultat désiré ne peut être atteint, cela a du sens de s'être levé·e pour agir de façon adéquate.
§6 Être des pessimistes plein·es d'espoir c'est donc croire en une vision assombrie du présent comme du futur mais espérer quand même - en partie parce qu'on ne peut jamais être certain·e de la façon dont les choses vont se dérouler. Mais surtout parce qu'il y a de l'espoir en se consacrant à mener une vie éthique quoi qu'il arrive. C'est un type d'espoir, comme VDL le signale, qui n'est pas orienté vers le futur mai se concentre sur la valeur.
§7 VDL ne dit pas que l'activisme est dépourvu d'objectif (ce qui l'oriente vers l'avant), ce qu'elle dit c'est que le but poursuivi en vaut la peine, que l'effort consenti est toujours valable, quel que soit le résultat futur. De plus, dans le cas de l'effondrement climatique, "même après que les points de non retour ont été franchis, nous aurons toujours raison de continuer à faire ce que nous pouvons." Cela a toujours du sens même en désespérant d'agir de façon éthique. En ceci, l'approche de VDL se ressent comme un contrepoint du nihilisme, qui est habituellement associé à la crise climatique.
§8 Il se peut que l'ouvrage ne convainque pas certains de ses lecteurs, certaines de ses lectrices les plus cyniques. Il s'emploie peu à convaincre celles & ceux qui sont sceptiques face aux valeurs morales ou qui cherchent avant tout le plaisir au détriment du sens. En même temps, VDL reconnait l'existence de questions difficiles tournant autour de la moralité à notre époque. Dans un chapitre remarquable sur l'idée du philosophe Jonathan Lear sur l'espoir radicaln elle envisage la possibilité que nous soyions en train de traverser l'effondrement de nos catégories morales les plus élémentaires.
§9 Lear se concentre sur le sort de la tribu Crow des natifs américains dont le monde fut anéanti par la conquête de l'Ouesr & pour qui, c'est son argument principal, le fondement d'une action significative s'est désintégré. Pourtant, VDL conclut que, a²ux contraire d'eux, notre situation éthique est très claire: "nous savons ce que nous devons faire."
§10 Cet ouvrage regorge de discussions fascinantes qui incluent non seulement la philosophie et la politique, mais aussi la critique d'art et l'analyse littéraire. Il est particulièrement précieux en montrnt comment intégrer espoir et pessimisme, mais elle écrit aussi d'une plume plein de sagesse sur la mélancolie et le chagrin. Le style est accessible en mentionnant des personnes connues comme Mary Shelley, Egar Allan Poe, China Miéville, Roxane Gay, JRR Tolkien et Cornel West.
§11 Beaucoup considéreront l'ouvrage comme thérapeutique, & pas seulement celles & ceux qui sont engagés dans l'activisme climatique. Hopeful pessimism prend en compte les besoins vitaux et en ce sens constitue de la philosophie pratique au meilleur de sa forme. À nouveau, il vaut la peine de citer Thunberg: "l'espoir c'est agir." Cela pourrait constituer la maxime de VDL & le message résonne à travers cette offrande profondément impressionnante. »