Proposition de traduction en français
(J. Mertens à la manoeuvre)
à partir de l'original en néerlandais
de la main de l'autrice
paru dans le n°10 de De Groene Amsterdammer, anno 2025, pages 48 à 50
Objectif de la traduction: rendre une position philosophique accessible aux personnes francophones

§1 Le désespoir nous joue un sale tour en ces temps d'incertitude. Mais l'optimisme est-il pourtant un "devoir moral" ? Bon, pas si nous croyons bêtement que tout va aller. L'espoir sans savoir comment s'y prendre est creux et inutile.

§2 En un temps où les démocraties sont menacées t où la droite radicale progresse sur la scène mondiale tandis que les fragiles accords sur le climat se "cassent le figure", il n'est pas étonnant que nous éprouvions un certain désespoir mais nous devons rester optimiste, c'est ce qu'on entend chaque fois. Qu'il s'agisse de la question climatique ou de politique, partout semble s'imposer de terminer avec une note optimiste, comme si chacun·e qui ne le fait pas avait déjà perdu la partie. On cite alors à ce propos Karl Popper qui voyait dans l'optimisme un "devoir moral".

§3 Cela se produit sur tout le spectre du débat politique. Le jour de l'inauguration de D. Trump en janvier de cette année, nous avons entendu Elon Musk parler de l'optimisme comme une des valeurs les plus américaines, tandis que Geert Wilders, le soir des élections aux Pays-Bas, a dit que l'agenda de l'espoir avait gagné.

§4 Mais l'espoir pour qui ? Aux États-Unis, l'air est pour le moment rempli d'espoir mais pour celles & ceux qui sont menacé·es d'être expulsé·es ou pour qui le droit à disposer de leur propre corps menace de leur être ôté.

§5 C'est aussi le cas dans le débat climatique: des chercheurs & chercheuses ainsi que des activistes se voient pour un oui pour un non demander de donner aux gens de l'espoir. Leurs réponses trahissent parfois de l'agacement. "C'est comme si les gens étaient obsédés pas par la question de l'espoir parce qu'ils pensent qu'ils ne peuvent pas faire sans", pour citer G. Thunberg dans un entretien. "Mais c'est précisément l'inverse: quand ils agissent, ils créent de l'espoir."

§6 Le risque est que l'espoir devienne un message vide, un bel emballage qui peut être utilisé à de multiples fins, dont certaines très problématiques. Des promesses de neutralité climatique en 2050, ça sonne bien, mais elles sont trompeuses si elles ne s'accompagnent pas de réductions immédiates de nos émissions. "Ils utilisent l'espoir comme une arme puissante pour ralentir les modifications nécessaires et prolonger le business as usual", comme l'a dit G. Thunberg. De tels messages pleins d'espoir sont diffusés dans des publicités de firmes pétrolières et des... de sorte que après le greenwashing, on peut maintenant parler de hopewashing.

§7 Cela signifie-t-il que nous devons laisser naviguer l'espoir ? Pas en soi. Le point que nous devons toujours soulever: espoir pour qui ? Et quelle signification lui donner ?À quel coût pour nous, cet espoir, quelle est sa valeur ?

§8 Dans l'histoire de la philosophie, il y a toujours eu de tous temps beaucoup de scepticisme quant à la valeur de l'espoir. De nos jours, l'espoir est vu comme quelque chose de bon, à moins qu'on ne lui ajoute quelque chose comme faux ou aveugle. Dans l'antiquité, c'était tout le contraire: l'espoir était en principe quelque chose de risqué ou de pas fiable, à moins que ne soit précisé de façon spécifique "j'ai bon espoir". Dans l'ancien mythe d'Hésiode, l'espoir était le seul des maux qui s'échappait de ma cruche de Pandore (& pas de la boîte) - mais pourquoi donc ? Pour aider l'humanité ou pour la punir ? Beaucoup penchaient pour la deuxième explication. L'espoir peut nous induire en erreur ou nous entrainer à des choses qui ne nous sont pas favorables.

§9 L'idée que l'espoir est préférentiellement quelque chose de favorable est relativement récente. Ce n'est que dans la chrétienté, sous le philosophe Thomas d'Aquin qu'il est devenu quelque chose de grande valeur, une vertu même, mais alors selon des conditions strictes. Si un soudard espère sauter par la fenêtre sans dommage ou un général de l'emporter sur un champ de bataille sans prendre de sages décisions, il n'y a là rien de louable. Pour qu'un espoir soit bon il doit être orienté vers quelque chose de valable et s'accompagner de notre disponibilité à contribuer à sa réussite.

§10 De nos jours, nous avons tendance à passer outre ces menaces, ces restrictions. Si un chef d'entreprise espère profiter de la crise climatique ou si un·e dirigeant·e politique espère pouvoir ignorer le changement climatique sans rien faire, cela a beau être un espoir, il n'en vaut pas la peine. C'est la position de Thunberg mais aussi de l'autrice Rebecca Solnit: l'espoir sans action est inutile. "Hope should shove you out of the door." [L'espoir devrait vous pousser dehors.] C'est aussi le point de vue du philosophe & théologien Cornel West:: l'espoir réel doit et peut coûter quelque chose; méfiez-vous de chaque espoir qui survient trop facilement.

§11 Ce point est souvent omis dans la littérature sur le climat. L'espoir est fréquemment associé à des émotions positives: vous y sentir bien. Chaque fois que les activistes reçoivent le même message, soyez plein d'espoir, soyez optimistes ou sinon laissez tomber. Mais des recherches récentes suggèrent que cela pourrait être l'inverse: des attentes visant trop haut et le devoir être optimiste peut également mener au burnout. "S'agripper à l'optimisme mène justement à davantage de désespoir, de burnout & d'apathie dans le mouvement climatique", ainsi s'exprime le philosophe & activiste Anh-Quân Nguyen. Il sit de quoi il parle: comme organisateur de la COP 26 à Glasgow, il a vécu en direct comment une atmosphère d'espoir et d'optimisme est suivie par une large désillusion lorsque les promesses ne sont pas tenues & que les négociations ont capoté.

§12 Par temps ensoleillé, un espoir joyeux reposant sur des attentes positives peut bien fonctionner mais que se passe-t-il quand des nuages sombres s'accumulent & qu'on ne sait pas ce qui va suivre: soleil ou pluie. Si notre espoir repose sur des résultats positifs, des résultats réalisables, comme on va de l'avant lorsqu'ils perdent en visibilité ? Que doivent faire ceux qui se font du mouron pour le climat alors que la collaboration internationale devient de plus en plus incertaine & que les forces contraires s'accumulent sur la scène mondial; alors que les rdv fragiles aux contenus si minces ne tiennent plus qu'à un fil ? Que peuvent les organisations progressistes lorsque l'ordre du jour d'un gouvernement non seulement fait régresser le progrès mais pire le prend impossible ? S'agit-il d'une perte, d'un signe de faiblesse de leur part, d'une défaite à en devenir pessimiste ? Est-ce la fin de l'espoir ?


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