Sur la couverture, la redingote est portée par un grand industriel allemand, Krupp, un des protagonistes au début du roman.
Éric VUILLARD, une écriture tendue, tracée au cordeau, l’intransigeance des froideurs assassines de tout ce qui ne bouge pas droit dans l’Europe des années trente. L’histoire ainsi racontée dénonce mieux qu’en criant au scandale: elle observe des comportements de compromissions successives et nous permet d’y assister sans y prendre part, au tour extérieur. Une jubilation intérieure s’installe à mesure que les pages se tournent. Que le récit serve à cela génère une adhésion.
La morgue des puissants est révélée sous le jour d’une cécité sociale 32.
É. Vuillard intime l’ordre aux mots si bien alignés sous sa plume économe & percussive de se plier aux hautes exigences morales d’une éthique personnelle tout entière tournée vers l’ultracontemporain qui nous entoure sans jamais le dire explicitement.
Cette plume très avertie d’histoire laisse percevoir le sérieux avec lequel l’auteur avance ses pions: il s’est préalablement penché sur de solides références, à n’en pas douter.
Sa plume dénonce moins qu’elle ne stigmatise. Elle met en exergue. À nous d’établir des parallélismes. Ou pas, mais ce serait dommageable.
Tour à tour portraitiste, ambianceur, dénonceur froid, l’auteur manie un scalpel déchaussant !
Il amorce sans s’appesantir, conduit notre regard sur le détail implacable.
Même si certains protagonistes de ces années trente passeront entre les mailles du filet historique, ici ça ne passe pas.
Ce nazi modéré (?) qu’est l’autrichien Seyss-Inquart pour le premier ministre (chancelier) Schuschnigg « rumine de longues phrases en rasant les fenêtres du hall » de la chancellerie. 61
Seyss-Inquart niera tout en bloc à Nürnberg, lui qui fut ministre sans portefeuille dans le gouvernement de Hitler. Ses derniers instants appartiennent au romancier en propre. Sa pendaison est vécue de façon intense sans omettre le vécu du bourreau, description au passage de sa personnalité.
Du grand tissage artistique ! Et sans concession pour la peine de mort au passage. Une erreur de ce tribunal américain.
Sa plume nous conduit ensuite vers d’autres pâleurs que je vous laisse le soin de découvrir !


Une littérature à l’éthique solide, humaniste jusque dans ses derniers soubresauts. Sobre, informée, l’auteur ne nous invite même pas à faire nôtre un point de vue dont l’éthique inspire confiance, ni moralisateur ni censeur.
C’eût été une lourdeur, à n’en pas douter.
La plume d’un Juste.
Quelle puissance de plume, cette justesse.
L’art de plume vuillardien convoque métaphores réduites à leur essence, évoque le quotidien de ces quelques personnages réels en bloquant tout retranchement à l’arrière d’une ligne infranchissable nous séparant de l’insupportable sans jamais essayer de nous convaincre: ce n’est pas son registre.


Après l’Autrichien, le Français: Albert Lebrun… 75 Pour ses lecteurs français, pas d’échappatoire non plus…
É. Vuillard porte l’ironie de l’histoire à bout de bras. Il ne dénonce pas. Il établit factuellement l’assise de cette éthique inspirée par une grâce sans pardon. Le plaisir pris à la lecture se dit ici de connivence perçue par-dessus la page. Une plume spinoziste ?


Ce livre, tout.e journaliste qui nous commente l’actu 24h sur 24, devrait s’en emparer afin d’y apercevoir la distance, l’abîme, le gouffre qui sépare leurs égos bien trop visibles sur nos écrans de la façon dont il s’agirait de nous faire réfléchir sur l’ultracontemporain des Hongrois, des Slovaques, des Polonais, des Britanniques, des Flamands,…


Et l’Europe, là-dedans, elle fait quoi ? Elle sert à quoi ?Et tenir à l’œil ces vents qui secouent toujours l’Autriche et les Pays-Bas…À part renouveler le mandat de Donald Tusk contre l’avis de ses compatriotes et émettre quelques cris de vierge effarouchée aux agissements innommables des Hongrois avec la presse et à leurs frontières ? Notamment.


Puissent mes ancien.ne.s collègues professeurs de français et d’histoire bousculer leurs « listes de lecture pour l’examen » en écartant Le grand Meaulnes, Le Petit Prince et tutti quanti plus récents au profit de cet Ordre du jour aux 150 petites pages d’élégante facture des Éditions Actes Sud, dont Hubert Nyssen, leur fondateur, a écrit:
« Quand je devins éditeur, ce, fut, après le choix des textes à publier, ma première préoccupation: faire en sorte que les livres que je proposerais fussent pour leurs lecteurs des objets d’agréable compagnie. Je voulais qu’ils se présentent comme des alliés, des complices, et non des adversaires que tant deviennent par leur poids excessif, leurs dimensions incommodes, la disgrâce de l’allure générale ou d’autres infirmités comme la petitesse ou l’inutile fantaisie de leurs caractères. Ainsi est né un format particulier dont la largeur permet de tenir sans peine l’objet-livre là où d’instinct on le prend dans la main: entre le pouce et les doigts opposés. Le confort n’est-il pas complice de la fidélité ? Le même souci fut pris en compte pour les pages sur lesquelles le texte était disposé, en caractères agréables par leur taille, dans des miroirs calculés de manière que le regard pût sans peine courir – gauche-droite, gauche-droite –, telle la navette sur un métier à tisser. » in Lira bien qui lira le dernier: Lettre libertine sur la lecture, éditions Labor/éditions Espace de libertés, 2004 15-16
Cette dernière phrase évoque une connivence avec F. Richaudeau, un référentiel dont j'évoque la présence sous-jacente à la plume de Jacques Abeille qui irrigue Nulle Part.


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