« Certains modèles de sagesse insistent
  • moins sur l'engagement de l'individu dans le monde & dans la société
  • que sur le développement personnel en dehors de la société.

Ainsi en est-il de l'homme parfaitement accompli présenté comme modèle idéal par Zhuangzi (Tchouang-tseu), lui-même associé Laozi (Lao-tseu) & Liezi (Lie-tseu) pour former les trois maîtres de l'école de pensée taoïste.

L'homme parfaitement accompli se tient

  • loin de l'agitation du monde,
  • reste dans sa demeure.

& pourtant, par la qualité

  • de son être
  • & de sa présence rayonnante,

il agit pour le bien (83) de la société. Son intégrité est telle que rien ne peut l'atteindre; ...

[Un exemple récemment lu, tiré de la page sur le visagier de Matthieu Ricard, moine bouddhiste tibétain:
« Des scélérats, il s'en trouve partout,
Et en venir à bout jamais ne se pourra.
Celui qui a raison de sa seule colère
A également raison de tous ses ennemis. » Toutes les traditions philosophiques & religieuses extrêmes-orientales sont proches, comme l'est le référentiel commun des trois religions du Livre en Occident chrétien. Source: SHANTIDEVA (685-763) Bodhicaryavatara, La Marche vers l'Éveil, Chap. 5, versets 12-13, et Chap. 6, versets 1-2, 10, 22, 41, 107-8. ]

  • Le sage échappe à toute norme,
  • & [il] s'adapte à chaque situation nouvelle,
  • son esprit est comme le miroir qui reflète toutes choses sans se les approprier. » 84

« L'homme de la voie s'occupe principalement d'enseigner & de changer le destin... 85

Dans la moyenne antiquité, il y eut l'homme accompli:

  • il avait une vertu pure,
  • il possédait l'intégrité de la voie,
  • il était en harmonie
    • avec le yin
    • & le yang,
  • il se régulait sur les quatre saisons,
  • restant
    • à l'écart du monde
    • & à distance de l'homme du commun;
  • il accumulait son essence,
  • il parachevait ses esprits vitaux,
  • il se promenait entre ciel & terre,
  • il regardait & écoutait au-delà des huit confins. » 85

« Le sage doit rester discret, il agit sans rien attendre, il accomplit sans se prévaloir de ses oeuvres car il ne souhaite pas montrer son talent. » 87

La discrétion caractérise les actions posées par un humain au talent sage & intérieur.


Le chapitre IV est intitulé Le sage

 Le sage, l'humain au talent sage, tamise sa lumière, enlumine une forme de spontanéité incarnée, naît à chaque journée qui se présente à lui, continuité, pourtant discontinuée par le repos, vis-à-vis de la précédente; la trame de nos jours est continue, contient une continuité propre qui n'inclut aucune monotonie, consacre même cette absence. L'alentissement des rythmes  les approfondit, en creuse les silences pluriels faits de sensations, d'aperçus, de vibrations, de saveurs appréciées.

Le premier acte concernant le sage a longtemps plongé les exégètes dans la perplexité. Un document récemment mis au jour offre une explication dont Mme Despeux nous entretient:

« À l'arrogance & à la superbe du coq, il vaut mieux préférer la mesure & la retenue de la poule, & par conséquent développer des qualités essentiellement féminines. » 96

Le coq dilapide, la poule thésaurise & protège l'oeuf qu'elle couve. « Laozi emprunte, chaque fois qu'il le peut, des exemples à la nature pour exposer comment le sage doit être & se comporter. » 96

La femme est très présente indirectement, allusivement dans le texte par les qualités vantées:

  • faiblesse,
  • position basse,
  • docilité,
  • conformité aux choses,
  • absence de résistance,
  • réceptivité,
  • modestie,
  • adaptation aux choses ou aux situations [comme l'eau qui épouse les contours de son contenant].

Acte 2: le nouveau-né 97-98

  • est paisible,
  • baigne dans l'harmonie,
  • possède une nature parfaite,
  • exprime sa nature spontanément,
  • est souple,
  • naturel,
  • candide,
  • ingénu,
  • ne lutte pas avec le monde,
  • ne connaît pas le mal,
  • n'a pas d'apriori sur le monde.

Acte 3: La/le sage tamise sa lumière 99-100

  • Le/la sage cache sa véritable nature du commun des mortel·le·s.
  • La/le sage ne paie pas de mine.
  • Le/la sage prend le visage de celui/celle en compagnie de qui il/elle est.

L'absence de renom permet de contempler la voie. Sans émotions ni renom, « le sage est réceptif. » 100

La/le sage ne garde pas les choses en elle/lui. Il/elle se remplit & se renouvèle perpétuellement (enfin, le temps de sa vie...)

« Le sage se comporte à l'inverse de la multitude. » 100

Le sage sait se fondre au vide infini.


L'alignement de caractères définitoires de la sagesse taoïste auquel procède C. Despeux dans le chapitre 4 de ce lumineux ouvrage invite à se pencher sur nos lacunes personnelles. Cela permet de mettre en lumière des zones encore insuffisamment assagies en soi & contribue à concentrer

  • une tendance,
  • un effort,
  • une pulsion*,
  • un conatus, dirait Spinoza,

à mieux agir, en d'autres termes à pratiquer le conatus spinozien à notre plus immédiat profit & contentement.

* Ce sont les trois traductions par lesquelles P. Macherey propose de rendre le mot latin conatus.


Acte 4: La spontanéité 100-103

Si fragile, tellement discrète,
l'écouter poindre en voisine vibrante
de l'intuition spinozienne:
la spontanéité du tao.

De soi-même, être ainsi. « Être conforme au modèle de la voie. » Conforme ?

Définition: « la spontanéité est un mécanisme naturel qui,

  • dans le flux constant,
  • dans une dynamique souple & ininterrompue,

se déroule sans entraves. » Ce mécanisme est de l'ordre de la résonance. Il consiste à entrer « en résonance avec les choses. »

Cette spontanéité est source

  • d'efficacité maximale grâce à « l'adéquation entre la situation & la réponse fournie, par une action spécifique ayant sa juste place dans un ensemble de corrélations. » 100;
  • « d'une énergie indéterminée en nous ». 101

La chapitre 64 dit que le sage « fait en sorte d'assister la spontanéité naturelle des dix milles êtres & n'ose pas interférer. » 101 Le chapitre 23: « Celui qui est silencieux dans ses paroles est spontané. » Être silencieuse dans ses paroles, c'est être spontanée.

La spontanéité n'est pas retour à l'état sauvage; elle consiste en une expérience intérieure. Elle laisse les choses advenir. « Grâce à la spontanéité, la bonne fortune vient en réponse comme l'ombre & l'écho. ... Le spontané est lié à l'écoute. » 102-3


« Le caractère chinois que l'on traduit par esprit désigne aussi le coeur, l'organe. » 128

Le qi, ce souffle-énergie, est un élément charnière entre le coeur & l'esprit.

« Si les actes sont inconsidérés, le souflle de l'harmonie quittant le centre, le corps & les os deviennent chaque jour plus raides. » 128

Le corps avertit bien le soi quand un acte est dysharmonique, quand il rompt l'harmonie créée par le coeur-esprit se concentrant sur l'un. « Quand le souffle emplit l'intérieur, le corps devient souple. » 128

« Les émotions-sentiments sont l'expression naturelle de la vie. Ils sont condamnés dans la mesure où ils font perdre à l'individu sa modération. » 130 Donc, conserver en ± toutes circonstances sa modération conserve au souffle-énergie sa fluidité intra-corporelle. La modération est une forme de maitrise de soi. Elle dépend

  • du degré d'assagissement intérieur,
  • de la part de sagesse que l'humain talentueux parvient à maintenir en son coeur-esprit.

Cette aventure au long cours que constitue le parcours d'une vie s'appréhende en bref dans ce parcours récent: Intégrer le flux, Les organes de l'ombre, Dégager les axes, Une respiration méditative à l'équinoxe des souffles, Rhizomes, Vacuités, Françoise Bonardel; mais aussi Lilian Silburn & Catherine Despeux comme ouvreuses, l'une pour l'Inde & le tantrisme pour la première & la Chine du taoïsme zen pour la seconde.


 

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