La question est évidemment rhétorique. Bien sûr que non: Érasme (1469-1536) n'était pas liégeois. Né à Rotterdam, il est toutefois tombé dans l'escarcelle de plusieurs professeurs d'histoire liégeois:

  • Marie Delcourt (1891-1979),
  • Léon-Ernest Halkin (1906-1998),
  • Franz Bierlaire (1947),
  • Bernard Adam...

Ils ont ensemble écrit un nombre impressionnant d'ouvrages, d'articles, ont entretenu des correspondances variées dont je vais tenter dans les prochains jours de tracer la carte mentale, en y repérant quelques étapes, y compris personnelles, qui baliseront mieux ce vaste territoire historique qui prend pour partie sa source à l'Université de Liège. Serait-ce faire preuve d'Érasmophilie que de vouloir creuser le fil liégeois de ces historiens appartenant à des générations différentes ? Je ne sais. F. Bierlaire suggère dans son Érasme au fil du temps un participe présent substantivé qui siérait assez correctement à ce mien penchant actuel: un érasmisant, une érasmisante. Tout petit, & pour l'instant je me contente principalement de littérature secondaire. Ma timidité face à l'oeuvre d'Érasme lui-même tient en partie à la difficulté d'accéder à une traduction française de sa production, uniquement latine, à la fois littéraire, théologique et épistolaire. Il est loin le temps où le courrier s'adressait par porteurs... et pourtant il a envoyé et reçu pour de 3.000 lettres au cours de sa vie.

Dans son Initiation à la critique historique (1973), L-E Halkin consacre un chapitre de seize pages à Érasme, citoyen du monde. L'édition que je possède est truffée de notes de mise à niveau culturelle d'un étudiant de première candidature en philo germanique (anglais majeur-néerlandais mineur) qui avait un cours de 22h30 de critique historique justement conduit par Mr Halkin dont nous suivions le cours avec assiduité, par admiration pour l'homme qu'il était, tout auréolé encore de son voisinage avec la mort dans les camps nazis.

Ce chapitre-là ne faisait pas partie de la matière de l'examen, ce qui le rend lisible en 2025; il est vierge d'annotations surchargeant les autres pages. L'auteur s'y attache à "son patriotisme, son internationalisme voire sur son cosmopolitisme". Il passe ensuite en revue diverses opinions émises par le prince des humanistes sur les nations qu'il a parcourues tant et plus, et pas toujours en mieux pour sa santé – point de tgv/eurostar à l'époque ! Cela ne l'empêcha pourtant pas de parcourir les Pays-Bas, ceux du Sud aussi, Galia-la-France, l'Italie et Rome, l'Empire germanique, l'Angleterre et le  Londres au temps de Thomas More et le très funeste Henry, 8e du nom et féminicide multirécidiviste. Dommage pour ses épouses que le christianisme n'autorisât point la polygamie; elles auraient gardé vie sauve.

Le climat retient aussi son attention. Il y a certainement de la graine à saisir dans la vie de cet humaniste globe trotter en nos temps de replis frileux derrière des frontières de plus en plus étanches derrière lesquelles se racrapotent tant de nationalismes chatouilleux et très peu pacifiques ni pacifiants. Les lectures que je fais par ailleurs sur Nulle part d'écrits européens de J F Billeter et de R. Menasse montrent que ce débat me traverse aussi.

Quatre ans auparavant, en 1969, Halkin avait aussi fait imprimer un petit volume, l'équivalent d'un Que sais-je de 128 pages, sur Érasme et l'humanisme chrétien (éditions universitaires, Paris, collection Classiques du XXe siècle, n° 107) avant de confier deux ans plus tard aux éditions Fayard (illo tempore Bolloreus non suspecto !) une biographie d'envergure du même sous le titre d'Érasme parmi nous. (illustration en chapeau de cet essai). Toujours ce souci de nous le rendre proche, approchable en tout cas. L'art du biographe est un art en soi.

L'auteur se fait digne continuateur de son aînée, Marie Delcourt dont j'ai lu l'ouvrage, paru un quart de siècle avant, au sortir de la deuxième guerre mondiale, avec beaucoup de plaisir tant son style savait se faire fluide et avenant. Mon édition date de 1986, Un Espace Nord époque éditions Labor. Son équipement critique est précieux à la meilleure connaissance de son autrice; il était bien sûr absent de la première édition que je possède également et que j'ai déposée quelque part... (Photo de couverture suivra quand... le "quelque part" aura été repéré !) Chaque plume traverse la vie de cette figure historique selon ses marques propres en multipliant, les points de vue qui se complètent l'un l'autre.

Je consacrerai ici un développement en cours de rédaction au troisième historien liégeois qui, en un siècle, a consacré sa carrière à Érasme: Franz Bierlaire. Il a rédigé pour les éditions de poche de l'académie royale de Belgique un très réussi Érasme au fil du temps.


Il est peut-être temps de consacrer à la plume d'Érasme elle-même quelque développement, en commençant par le biais principautaire qui est le mien.

1969

Une traduction de onze Colloques érasmiens (sur la cinquantaine existante) par L-E Halkin a été chinée en bouquinerie et refait surface à l'occasion d'une pencherie sur une planche basse de la Léonardienne. Elle date de 1969. Il faudra attendre 2025 pour disposer d'une traduction française de tous les Colloques aux éditions Belles Lettres dans la collection Miroir des humanistes. C'est dire le rôle de précurseure qu'a joué l'école érasmienne liégeoise.

Les dialogues sont une manière enlevée d'enfoncer le clou dans divers travers que dénonçait assidument cet humaniste très chrétien. Chaque colloque fait l'objet d'une présentation halkinienne bien ficelée en une page ou deux: elle permet en effet de remonter la ligne du temps en toute sécurité. Cinq-cents ans, c'est une tape et une trotte en même temps. Pourtant, des invariants peuvent ici & là émerger, nous portant à mieux réfléchir à ce qui nous ressemble et nous différencie.

1974

C'est la date de parution du premier tome de la traduction française de la correspondance qu'Érasme a entretenue avec ses correspondants. Marie Delcourt et plusieurs de ses étudiant·es devenus professeurs dans le secondaire sont à la manoeuvre.

Plume jamais en repos, la liste des correspondant(e)s d'Érasme semble infinie, sa Correspondance a fait l'objet d'une première traduction en français (eh oui, ces lettrés écrivaient en latin !) pilotée depuis l'ULB (qui était bilingue avant la création de la VUB, qui fut moins ostrasisante que le très flamingant Walen buiten ! louvaniste) sous la double houlette de Jean Lameere d'abord puis d'Aloïs Gerlo (qui fut par ailleurs le premier recteur de la VUB entre 1974 et 1979), pendant la longue période qu'il a fallu (de 1967 à 1984) pour mener à bien la première traduction intégrale en français de toute sa correspondance et des réponses de ses correspondants. Les conseils fort avisés depuis Liège par Madame Alexis Curvers, aka Marie Delcourt, ont été prodigués pendant les douze premières années de cette entreprise au long cours, jusqu'à son décès en 1979. La correspondance d'Érasme n'avait jamais été traduite dans aucune langue "lisible" dans une langue "vernaculaire" contemporaine. C'est donc une équipe belge, principalement francophone [A. Gerlo (1915-1998) était d'une susceptibilité flamingante de droite, je le ménage à titre posthume...], qui en a assumé la primeur.

Le premier tome de l'érasmienne Correspondance, traduite et supervisée par M. Delcourt est disponible par prêt interbibliothécaires provincial qui va reprendre du service après la pause vacancière; ces deux ouvrages pourraient ainsi assouvir ma soif liégeoise érasmisante d'un auteur humaniste qui demeure un religieux, ce qui ne constitue (vraiment) pas ma tasse de thé ! Sa plume, apparemment fort redoutable mais aussi très amicale, est toujours demeurée dans les clous d'un catholicisme social, bien en adéquation avec la démocratie chrétienne contemporaine... jusqu'à ce qu'elle vole en éclats, en Belgique en tout cas, en cause un aventurisme poursuivant un libéralisme antisocial à la traine d'une Bouchezerie fort peu ragoutante... tout à la solde, elle, d'un nationalisme flamand ultraconservateur.

2012

Les échanges entre les deux bruxellois et la liégeoise ont également fait l'objet d'une publication aux éditions Droz; elle est épuisée mais a été opportunément mise à disposition par l'ULiège sur Orbi. Elle a été supervisée par Marie Theunissen-Faider qui a par ailleurs consacré un article à l'ouvrage dans la revue Anabases. L'intérêt d'une pareille publication est bien détaillée dans l'article.

Toujours sur la plume érasmienne, ceci encore:

Aucun liégeois ne semble, jusqu'à plus ample informé, s'être penché sur Les Adages, dont j'ai acquis un florilège (21 sur les 4151 écrits... – un graphomane, je vous dis, cet Érasme) édité par Jean-Christophe Saladin aux Belles Lettres en 2019. La maison d'édition a par ailleurs publié l'ensemble toujours disponible en édition de poche et en plusieurs volumes. Ces adages sont une manière fluide d'aborder la littérature antique; ils étaient la manière qu'Érasme avait trouvée d'initier ses élèves aux subtilités d'auteurs antiques.

De L'Éloge de la folie, je dispose de deux traductions dont celle de Claude Blum (datant de 1995) aux éditions Slatkine, dans la collection Fleuron, me parait être la plus à même de satisfaire une curiosité informée par sa structuration même qui renvoie en toute vraisemblance au texte original latin. C'est une édition pour d'honnêtes lectures qui ne souhaitent pas, souvent parce qu'ils ne le peuvent point - je me mets dans le lot, 6 ans de latin à raison de 5 heures/semaine s'avèrent bien maigre bagage - vérifier dans l'original latin la pertinence d'une traduction. Il a fallu que je croise la majestueuse plume de Spinoza pour que je consente à m'y remettre, une fois en pré-retraite, avec le support de traductions choisies, parmi lesquelles j'ai pu apprendre à faire mon marché. Le jeune homme que j'étais n'avait pas souhaité se consacrer à l'étude d'une langue morte, n'ayant jamais fait de grec en plus, pour entamer des études d'histoire. Un parcours personnel dans ce labyrinthe d'érudition auquel peu de jeunes gens sont préparés, quelle que soit l'époque...


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