marguerite yourcenar quoi ? L'éternitéDans la continuité d'un Hors-Série récent publié par Le Monde qui lui est consacré, j'ai chiné ce volume Yourcenarien dans une caisse en carton disposée dans un hangar industriel alangui en bord de Meuse.

C'est d'une plume parfaitement policée que cette prose dézingue à tout va dans ce volume, le dernier publié de son vivant. Une lucidité vivifiante déborde de partout. Cela suinte littéralement de cette plume acérée.

Autant Mémoires d'Hadrien m'était tombé des mains, autant ce récit de soi dresse une tresse passionnelle autour d'une phrase stylée, lame effilée maintenue tranchante jusqu'à sa dernière respiration. Il me faudra dénicher une édition de L'oeuvre au noir... Le personnage central pourrait davantage plaire.

Le titre d'abord. C'est en parcourant le numéro courant de la revue liégeoise Aide mémoire, à la page 23, que mon attention a été attirée sur un quatrain rimbaldien:

Enfin, ô bonheur, ô raison, j'écartai du ciel l'azur, qui est du noir, et je vécus, étincelle d'or de la lumière nature. De joie, je prenais une expression bouffonne et égarée au possible:

Elle est retrouvée !
Quoi ? L'éternité.
C'est la mer mêlée
Au soleil.

Mon âme éternelle,
Observe ton voeu
Malgré la nuit seule
Et le jour en feu.

Donc tu te dégages
Des humains suffrages,
Des communs élans !
Tu voles selon...

Jamais l'espérance.
Pas d'orietur.
Science et patience,
le supplice est sûr.

Plus de lendemain,
Braises de satin,
Votre ardeur
est le devoir

Elle est retrouvée !
– Quoi ? – L'éternité.
C'est la mer mêlée
Au soleil.

[Et je dois à un volume intitulé Rimbaud: Maître du feu, introduction et choix par Georges Thinès, éditions L'arbre à paroles, collection l'oeil à l'épreuve, 2004, 127p d'en avoir retrouvé la page complète. Et, aussi,  question au bibliothécaire léonardien: Pourquoi n'y a-t-il aucun volume consacré aux oeuvres complètes de Rimbaud ?]

Je jouis avec plaisirs des nombreuses élégances de plume qui persillent ce texte. Fernande est la mère de l'autrice; elle ne l'a pas connue: morte d'une fièvre puerpérale qui l'a emportée quelques jours après sa naissance.

« Ce projet de séjour sous les pins et au bord de la mer [à Scheveningue chez la mère d'une des demoiselles d'honneur au mariage de Fernande avec Michel de Crayencour, Jeanne de Reval.] l'emplit d'une sorte de nostalgique douceur, comme si toutes les émotions desséchées se revivifiaient."

... « Entre elles, une grande liberté régnait. Des lèvres édentées d'anciennes gouvernantes ont longtemps susurré qu'une amitié particulière existait entre les deux élèves. Ce fut en tout cas une intimité caressante et chaude. » L'autrice reprend le contrôle jusqu'à la fin du paragraphe en s'ouvrant à nous d'une vérité qu'elle a elle-même fomentée en son sein propre pour se conclure par une inconnue: « Nous ne saurons jamais si Jeanne et Fernande la connurent ou même l'entrevirent ensemble » cette illumination des sens. (79)

Dans le labyrinthe de ce monde là, Quoi ? L'éternité bénéficie d'une mise en récit de soi et de ses proches à l'aide d'une plume à l'élégance fraichement désuète, tant le classicisme dont elle s'habille nous fait pénétrer dans un monde inaccessible. Ce témoignage nait du besoin de circonstancier sa vie, besoin commun à tant d'humains mais auquel peu cèdent tant l'écriture leur semble peu familière. Cette mise par écrit des sinuements d'une vie insinue tant de non-dits dont la franchise brute interpelle. Ce sont les rétroactes d'une vie d'écrivain(e) qui s'emballent un peu mieux; ils y frisent souvent l' "Il y en a un peu plus, je laisse quand même...", "xpression chère à toute bouchère qui se respecte.

Comme si ce supplément d'âme purifiait spirituellement les mornes plaines d'une existence aux rabais surconscients. Est-ce à malaxer ces reconsidérables qu'une vie se reprend en main sans repentir face aux rentrayages immanquables qui s'opèrent aux silences éloquents ?

P. 310, un commentaire sur 1914 après la déclaration de guerre, en tous points recyclable à l'extrême contemporain, guerroyeur en diable vengeur désespérant: « En Suisse, ..., l'air paraissait plus pur et les cris et les impostures de la presse, tant française qu'allemande, n'arrivaient qu'amortis. » C'est bien ainsi qu'il nous est si compliqué de vivre notre vie encore paisible alors que de multiples conflits meurtriers et meurtrisseurs d'humanités plurielles rôdent à nos portes encore closes.

Il semblerait que le surtitre des trois volumes que M Yourcenar a consacré à la biographie à la fois familiale & personnelle, Le Labyrinthe du Monde, soit emprunté à une composition musicale d'Egon de Reval, mari de Jeanne. (p. 312)

313: « ... mettre un peu de douceur dans l'intolérable »
317 « Sa sécurité à l'égard de soi-même avait grandi. »
318 ... « la mer, à partir des îles, était parsemée de mines qui dérivaient avec la banquise, mais la chance de sauter ensemble n'encourageait pas nécessairement à la sincérité. »

L'autrice maitrise cet art consommé du montage d'un récit pour y inclure le corps tout entier qui la lit. C'est frissonnant d'efficacité rompue par l'expérience.

Quelques nullepartismes parsèment l'oeuvre: ils vaudront citations finales stylistiquement propices.

110 J'ai rencontré des êtres comme nulle part dans ma vie.

237 Le tracé d'une vie humaine est aussi complexe que l'image d'une galaxie. À y regarder de très près, on s'apercevrait que ces groupes d'évènements, ces rencontres, perçus d'abord sans rapport les uns avec les autres, sont reliés entre eux par des lignes si ténues que l'oeil à du mal à les suivre, et qui tantôt cessent, semble-t-il, de mener nulle part et tant se prolongent au delà de la page.

263 Des nuages bas, échevelés, pareils à ceux que j'avais vus naguère dans Macbeth sur la lande des sorcières, mais mille fois plus beaux, inépuisables, venus de nulle part pour aller nulle part, cachaient et révélaient tour à tour la lune.

339 Sitôt sorti du taillis, il exécuta la manoeuvre requise, s'attendant, en dépit des assurances d'Elie, à ce qu'on tirât sur lui à distance. Au contraire, une bande d'une dizaine d'hommes, sortis de nulle part, l'encercla, le tenant en joue.
— Qui va là ?

Il opta pour la vérité.
— Baron Egon de Reval, de Woïronovo, en Courlande.

La couverture du Hors-Série qui est consacré à l'autrice:
hors série Le Monde Une vie Une oeuvre Marguerite Yourcenar


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